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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 20.1866

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Legrange, Léon: Bulletin mensuel: Janvier 1866
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https://doi.org/10.11588/diglit.19277#0198

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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.

l’histoire de l’art espagnol, la protection royale substituée à la protection de l’Église.

En effet, ce Diego Rodriguez de Silva y Velâzquez, qui naquit le 1o ou 16 juin
1599, à la veille du xvne siècle, fut avant tout un peintre de cour. Il eut pour premier
Mécène, à vingt-quatre ans, un huissier du cabinet du roi. Génie imitatif, il avait
peint jusqu’alors ce qui s’était rencontré sous ses yeux, des fruits, des pots, des
oignons, un cardon, un porteur d’eau. Le jour où Philippe IV posa devant lui, il sut
peindre Philippe IV avec la môme puissance de vérité. Marié de bonne heure à la fille
d’un peintre, il comprit ce que l’art doit au ménage, et, sans se préoccuper de trop
hautes visées, il se borna à reproduire les modèles qui s’agitaient autour de son che-
valet. 11 se laissa faire huissier, chambellan, maréchal des logis de la cour, intendant
des plaisirs de Sa Majesté, ministre des beaux-arts. Au milieu de ces fonctions mul-
tiples, la subjectivité de l’artiste apprit à sommeiller. Pour Molière la charge de valet
de chambre du roi était presque une sinécure. Mais la clef de chambellan que portait
Velâzquez a pesé sur son génie d’un terrible poids. Elle l’enchaîna à perpétuité devant
les mêmes modèles : son roi d’abord, le plus ennuyé et le plus ennuyeux des rois; puis
des infants, des infantes, leurs nains, leurs chiens, leurs courtisans, tout un monde de
mannequins, dont la beauté objective n’était, pas faite pour réveiller un génie pris lui-
même dans les mornes rouages de l’étiquette. Aussi, quand parfois il s’échappe, c’est
pour se plonger résolument au sein de la réalité la plus vulgaire. La crasse du peuple
le délecte, tant il est saturé d’eau de senteur! Il meurt en 1660, des fatigues que lui a
laissées, comme maréchal des logis, l’entrevue delà Bidassoa, compliquées d’une
fièvre d’antichambre.

Une rare puissance de tempérament permit à Velâzquez de jeter à pleines mains sur
tout ce qu’il touchait la vie, la couleur, la lumière. 11 anime les cadavres, il ressuscite
les momies royales sous leurs bandelettes sacrées, il prend les morts de la mythologie,
Mars, Bacchus, Mercure, Vulcain, et les voilà qui vivent d’une vie analogue à celle des
dieux d'Orphée aux enfers et de la Belle Hélène; il paye à la religion le tribut que lui
doit tout fidèle Espagnol ; il reproduit la physionomie paysagère de la nature; mais sur-
tout il crée une prodigieuse galerie de portraits, qui, rapprochés les uns des autres, for-
meraient le plus étrange congrès de revenants. Jamais peintre, une fois le métier acquis,
et bien acquis, ne donna moins à l’éducation. Jamais artiste ne laissa son cœur plus
tranquille: ni la passion, ni le sourire; digne serviteur d’un roi qui ne permit jamais
aux traits de son visage de se déranger d’une ligne. Un jour, Velâzquez rencontra
Rubens. Ce qu’ils se dirent, nul ne le sait. Si l’on avait pu écouter aux portes! Le Flamand
poussa l’Espagnol vers l’Italie. Velâzquez y alla deux fois, et en revint en disant:
« Rafael non mi piace niente. Titian è quel che porta la bandiera! » Raphaël ne me
plaît nullement; Titien est le porte-drapeau de l'art. — Il avait peint à Rome ce sur-
prenant portrait de pape que l’on voit à la galerie Doria, et qui n’empêche pas d’admi-
rer le Barlolo et Baldo attribué à Raphaël. Un fait curieux, c’est que, dans un de ces
voyages, Velâzquez prit son gîte à la villa Médicis, la future Académie des prix de
Rome.

J’en ai dit assez, non pas pour juger Velâzquez, telle ne saurait être ma prétention,
mais pour montrer combien le livre de M. Stirling est digne de nous attacher, puisqu’il
fait revivre à nos yeux et le grand peintre do Philippe IV, et les milieux où s’écoula
son existence, et les œuvres enfantées par son génie. Peut-être ces diverses parties se
trouvent-elles un peu séparées, au lieu de se fondre dans l’ensemble. Chaque figure
historique esquissée par l’historien a l’air de se cantonner en son petit coin, et, tandis
 
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