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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 2.Pér. 21.1880

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Nr. 1
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Gonse, Louis: Eugène Fromentin, 5: peintre et écrivain
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https://doi.org/10.11588/diglit.22841#0065

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EUGÈNE FROMENTIN.

59

les intermédiaires si zélés dont je parlais tout à l’heure mettent l’empressement que
vous savez à nous signaler les œuvres ou les noms, quel empressement non moins
grand ne mettons-nous point à les accueillir ! Nous avons vraiment des instincts d’art,
des inclinations de goût, qui font de notre pays, dit-on, et de notre époque, un lieu
et comme un temps choisi pour l’épanouissement des idées belles. Ces instincts nous
les avons asstz larges pour ne rien exclure ; assez précis pour nous inspirer des préfé-
rences. Nous avons une curiosité généreuse pour toutes les choses de l’esprit; une
sensualité des yeux qui nous fait aimer les toiles peintes et nous fait courir en foule
vers les lieux où on les expose, comme à des spectacles agréables ou émouvants, sui-
vant la nature ou le degré de l’intérêt qui nous y porte. Il y a parmi nous beaucoup
de dilettanti et d'amateurs passionnés. Notie époque tout entière a même, disons-le,
un faux air de dilettantisme éclairé, assez propre a donner des illusions, — mais qui
pourtant voudrait être examiné d’un peu près, dans cette espèce d’examen do con-
science que j’oserai tout à l'heure demander à chacun de vous.

Nous encourageons, nous battons des mains, nous guettons à leur début les talents
à peine révélés, nous les saluons comme une bonne nouvelle. Il y a même de nos
jours, à l’égard des peintres naissants, une sorte d’unanimité d’espérance et de satis-
faction qui n’a pas toujours eu lieu, tant s’en faut, qui n’existe pas au même degré
dans certains arts voisins, et dont le seul tort peut-être serait de ressembler quelque-
fois aux amabilités de l’indifférence.

Quoi qu’il en soit, messieurs, que ce soit conviction ou insouciance, succè3 d’es-
time ou succès de politesse, le résultat, dans la forme au moins, est le même, du
moment qu’il se traduit pour les artistes par un succès.

On les applaudit, on les récompense, on les honore. Quelques anciens préjugés
désobligeants tendent à se dissiper. L’opinion du monde un peu plus juste; le sens plus
clair de l’estime qu’on doit aux efforts de l’intelligence; le caractère mieux apprécié
d’une profession — libérale entre toutes, — indépendante s’il en fût, — par conséquent
exempte de beaucoup de petites servitudes méprisables — ; la responsabilité si grave
engagée dans de pareilles luttes; la dureté des épreuves; l’isolement dans l’effort; les
joies secrètes de l’étude, en même temps que ses douleurs inconnues; enQn la gran-
deur, même un peu chimérique, du but; — tout cela, mieux compris sans doute, con-
court à relever justement dans l’estime publique ce peuplo de visionnaires qui ne
saurait être, croyez-le bien, ni trop honoré ni très à plaindre.

Quelques-uns, dans ces vicissitudes du succès dont l’histoire mériterait d’être
écrite et serait profondément instructive, — quelques-uns ont le brusque et fugitif
éclat des météores : c’est une comparaison, fort usitée en pareil cas, dont on me per-
mettra de me servir à ce propos. Ils viennent on ne sait d’où; ils disparaissent on ne
sait pourquoi. A qui la faute? on se le demande. Le public étonné de leur peu de
durée s’inquiète un moment du secret de ces existences rapides. Puis une autre se
lève qui les fait oublier ; et Dieu sait, messieurs, dans quelles profondeurs ont plongé
ces choses tristes et bien injustement dédaignées qu’on appelle des astres éteints.
D’autres semblent traverser une longue série de nuits nuageuses; on les soupçonne,
on ne les voit pas. Des années se liassent dans celle bizarie obscurité qui ne dépend
pas d’eux, jusqu’au jour où je ne sais quelle embellie se fait dans notre atmosphère
troublée et nous y montre le point très brillant d’un talent de premier ordre en pleine
expansion de lumière et n'attendant plus (pie cette attention des esprits qui fait la
gloire.
 
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