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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 2.Pér. 21.1880

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Nr. 1
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Gonse, Louis: Eugène Fromentin, 5: peintre et écrivain
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https://doi.org/10.11588/diglit.22841#0072

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66

GAZETTE DES BEAUX-ARTS.

espérer soit dans l’atmosphère du monde, soit dansl’air des ateliers, une sorte d’assai-
nissement miraculeux. Le mal n’est ni là ni là; nous voudrions qu’il fût local, afin de
l’atteindre plus aisément. Les effets produits sont attestés; la cause est incertaine. Ne
trouvant pas où le saisir dans ses origines, nous nous bornons à le combattre dans ses
résultats, pratiquant ainsi une méthode usitée dans la science thérapeutique, et qui
consiste en désespoir de cause à traiter la maladie dans ses symptômes.

En réalité, nous sommes tous malades, et d’une affection de longue date, plus
facile à nommer qu’à circonscrire, dont la cause est profonde, et, sovez-en persuadés,
plus inhérente à la constitution de notre temps qu’on ne l’imagine. Nous sommes les
fils d'une époque émancipée et sans règle; nous sommes tous — l’aveu serait-il trop
dur? — le produit d’une instruction nulle ou d’une éducation détestable.

Messieurs, un mouvement fort intéressant s’est produit dans les arts en France, il
y a quarante ans; quelque chose d’analogue en petit à la révolution qui s’était opérée
trente ans plus tôt dans les institutions, et qui, vous le savez, n’a pas ditson dernier mot.
Vous connaissez l’histoire de ce quatre-vingt-neuf artistique, qui eut aussi ses ardeurs,
ses luttes, ses tempêtes, quelques petitesses, de grandes gloires; qui, le jour de son
triomphe, se baptisa d’un nom mal choisi et se fit torten s’appelant romantisme ; qui prit
des devises bizarres, affecta très innocemment des tendances farouches, discuta pro-
digieusement, créa presque autant, se couvrit de ridicule et d’éc'at, commit quelques
excès, produisit des œuvres admirables, mais au fond ne promulgua rien.

Dans ce mouvement général des esprits vers l’indépendance, la peinture eut son
rôle distinct et son initiative propre. Un peu plus tard, il y eut des influences mu-
tuelles qui la confondirent un moment, et permettraient presque de se demander lequel
du peintre ou du littérateur fut l’initiateur de l’autre. Un désir commun de se renou-
veler, de changer de lieux, de changer d’époque, l’amour de l’histoire, du costume,
du romanesque, le besoin des’entr’aider dans leurs recherches, et de se soutenir pour la
démonstration de leur thèse, tout cela les associa de très près dans le choix des idées
et la combinaison de leurs sujets. Mais au début chacun agit pour son propre compte.
Le signal fut donné presque à la même date; on parut à peine se concerter; ce ne fut
point une conspiration, on se rencontra dans la lutte; et chacun put revendiquer
l’honneur d’avoir attaqué son adversaire direct et porté au passé, son maître, les pre-
miers coups.

Le moment, d’ailleurs, était de ceux que la destinée des arts, semblable en ceci
à celle des nations, paraît choisir de temps eu temps pour la rupture de certains fais-
ceaux et la dispersion de certains héritages. Le dernier grand peintre classique mou-
rait à l’étranger, laissant pour le représenter en France quatre élèves et quatre ateliers,
— c’est-à-dire déjà une unité brisée, — quatre provinces au lieu d’un empire; — et
parmi ces quatre élèves, un disciple très insubordonné déjà, novateur anticipé, hardi,
enthousiaste, échauffé par les bruits de guerre, théâtral, éloquent, nourri d’anciennes
formules et ne s’en cachant pas, mais les animant d’une pathétique toute moderne et
d’une sorte de tendresse héroïque inconnue jusque-là : en un mot, le premier et peut-
être à son insu le plus influent des révolutionnaires, comme Sieyès fut le premier des
Girondins. Or ce qu’il y eut de particulier dans cette filiation des idées nouvelles,
c’est que la vraie révolution sortit non pas de cet atelier si largement ouvert pour lui
laisser prendre son élan, mais, comme on l’a si souvent remarqué, du lieu môme qui
aurait dû la comprimer dans son germe et l’étouffer dès sa naissance.
 
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