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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 2.Pér. 21.1880

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Nr. 5
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Gonse, Louis: Eugène Fromentin, 6: peintre et écrivain
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https://doi.org/10.11588/diglit.22841#0497

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476

GAZETTE DES BEAUX-ARTS.

à fond même sur des sujets que j’ai beaucoup envisagés; et je suis obligé de confesser
que j’ai plutôt la vision passagère du vrai que la certitude.

Je n’aurais jamais osé vous demander, madame, de faire au Sahel l’honneur sans
pareil que vous avez daigné faire au Sahara. Mais, si telle était votre intention, puis-
je vous prier de n'y pas renoncer? Yous m’avez créé quelque chose, il y a deux ans,
dans la Presse; et du patronage do votre nom je n’ai recueilli, je m’imagine, que des
amis. Je ne suis pas de ceux, d’ailleurs, qui puissent se passer d’aide. Eussé-je auprès
des lecteurs que vous dirigez un crédit que je n’aurai jamais, le témoignage public
de votre satisfaction serait encore pour moi, comme pour tout homme qui prend son
travail à cœur, une récompense que rien ne remplace.

Enfin, madame, il y a dans votre lettre, si fortifiante et si bonne, une bienveillance
affectueuse dont je voudrais vous remercier comme je la sens. J’ai cherché, depuis que
vous m’avez fait l’honneur de m’y inviter, le moyen d’aller vous porter soit à Paris,
soit à Nohant l’expression de ma gratitude. Je n’ai pu m’arracher aux liens bien petits
mais très serrés de mon existence tantôt occupée, tantôt errante. A Paris j’ai vaine-
ment attendu votre venue. J’espère encore cependant que le hasard, plus ingénieux que
moi, me fournira l’occasion souhaitée de vous voir. J’habite aujourd’hui Paris, c’est-à-
dire mon atelier, où je viens de rentrer après six mois de maladies ou d’infirmités que
j’ai employées de mon mieux en écrivant. Maintenant je peins. Que sortira-t-il de ma
palette, qui me semble un dictionnaire encore plus effrayant que celui des mots, sans
doute parce que c’est une langue pour laquelle j’ai l’esprit rebelle!

Recevez, madame, avec l’hommage profond de mon respect la nouvelle expression
de ma reconnaissance. Elle ne saurait être plus vive. Vous me rendez le plus impor-
tant service que puisse offrir un grand esprit à un esprit désireux de bien faire et
tourmenté d’incertitude.

Eug. Fromentin.

20 février 1859.

Madame,

Je vous supplie de m’excuser si je réponds si tard et si mal à la dernière lettre que
vous avez eu la bonté de m’écrire. Il n’y a pas une heure dans ces quinze derniers
jours, où l’idée qu’il me faudrait expliquer mon silence et vous prier d’accepter mes
excuses ne m’ait causé un véritable tourment. C’est pourtant très volontairement,
madame, et pas du tout par négligence, voudrez-vous bien y croire? que je ne vous ai
pas remerciée encore ni de votre lettre si bienveillante, ni de l’admirable article sur le
Sahel que j’ai lu chez Charles Edmond. Je suis dans des dispositions d’esprit détesta-
bles : un peu souffrant, forcé de travailler quand même, et d’envoyer au Salon à jour
fixe des tableaux qui m’ont donné les plus grands soucis, mécontent, fatigué, inquiet,
et dans ces humeurs noires où le sentiment de ma faiblesse est tel que tout ce qui
devrait m’encourager le plus se change pour moi en accablement. Tout cela est très
sincère malheureusement et très profond. Imaginaire ou non, c’est une maladie. Ceux
qui m’approchent la connaissent bien. Dans de pareilles dispositions je me cache et je
me tais, un peu par impuissance et beaucoup par ennui de parler de moi. Voilà pour-
quoi, madame, je ne vous ai point écrit, quelque désir et quelque bosoin que j’eusse
de le faire; me pardonnez-vous, madame, d’avoir jugé que je vous devais la vérité
sur les raisons intimes de mon silence et de vous l’avoir dite sous forme de con-
fession?
 
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