GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
Zi9ô
Je connais une contrée pittoresque et charmante, peuplée de castels
gothiques, de villas italiennes, d’alcazars moresques, de bastides pro-
vençales, de chalets et de cottages, de chaumières et de casinos. Ici les
donjons sévères du moyen âge, plus loin les élégants manoirs de la
Touraine; l’art classique et l’art libre, tous les styles et toutes les fan-
taisies : des temples et des mosquées, des chapelles et des pagodes, des
huttes et 'des tentes; des cavernes pour les amateurs.
Chacun se loge à sa guise, sur les hauteurs souveraines de l’anti-
quité ou parmi les bosquets fleuris de Trianon, au pied des pyramides
ou sur le bord des longues avenues françaises, à l’ombre des grandes
forêts druidiques ou dans les bocages de la Renaissance, hantés par les
nymphes et par les faunes.
On y chasse, on y pèche; on tue la grosse bête et le menu gibier.
Les habitants sont en général d’humeur facile et bien élevés; ils
accueillent volontiers les étrangers. Ils adorent un grand nombre de
dieux auxquels ils donnent des noms bizarres, le seizième, le quin-
zième, le dix-huitième•, ils ont un culte, des fétiches, des pontifes.
Ils sont grands chasseurs et témoignent un goût prononcé pour le
commerce. Des voyageurs assurent qu’ils pratiquent l’anthropophagie,
mais entre eux seulement ; on les a vus dévorer leurs semblables dans
l’intimité.
Après les tableaux de Michel-Ange et la porcelaine des Médicis, ce
qu’il y a de plus rare chez l’amateur, c’est la bienveillance.
La jalousie règne dans toutes les corporations. Artistes, médecins,
avocats, musiciens, gens de lettres, chacun digère avec peine les lau-
riers du confrère et l’égorgille périodiquement pour se consoler. La
corporation des collectionneurs s’acquitte de la besogne avec une grâce
particulière. L’amateur connaît toutes les petites perfidies de l’art ora-
toire, insinuations, sous-entendus, réticences, euphémismes; il a des
inflexions de voix, des sourires démontants, des éloges qui désespèrent,
Zi9ô
Je connais une contrée pittoresque et charmante, peuplée de castels
gothiques, de villas italiennes, d’alcazars moresques, de bastides pro-
vençales, de chalets et de cottages, de chaumières et de casinos. Ici les
donjons sévères du moyen âge, plus loin les élégants manoirs de la
Touraine; l’art classique et l’art libre, tous les styles et toutes les fan-
taisies : des temples et des mosquées, des chapelles et des pagodes, des
huttes et 'des tentes; des cavernes pour les amateurs.
Chacun se loge à sa guise, sur les hauteurs souveraines de l’anti-
quité ou parmi les bosquets fleuris de Trianon, au pied des pyramides
ou sur le bord des longues avenues françaises, à l’ombre des grandes
forêts druidiques ou dans les bocages de la Renaissance, hantés par les
nymphes et par les faunes.
On y chasse, on y pèche; on tue la grosse bête et le menu gibier.
Les habitants sont en général d’humeur facile et bien élevés; ils
accueillent volontiers les étrangers. Ils adorent un grand nombre de
dieux auxquels ils donnent des noms bizarres, le seizième, le quin-
zième, le dix-huitième•, ils ont un culte, des fétiches, des pontifes.
Ils sont grands chasseurs et témoignent un goût prononcé pour le
commerce. Des voyageurs assurent qu’ils pratiquent l’anthropophagie,
mais entre eux seulement ; on les a vus dévorer leurs semblables dans
l’intimité.
Après les tableaux de Michel-Ange et la porcelaine des Médicis, ce
qu’il y a de plus rare chez l’amateur, c’est la bienveillance.
La jalousie règne dans toutes les corporations. Artistes, médecins,
avocats, musiciens, gens de lettres, chacun digère avec peine les lau-
riers du confrère et l’égorgille périodiquement pour se consoler. La
corporation des collectionneurs s’acquitte de la besogne avec une grâce
particulière. L’amateur connaît toutes les petites perfidies de l’art ora-
toire, insinuations, sous-entendus, réticences, euphémismes; il a des
inflexions de voix, des sourires démontants, des éloges qui désespèrent,