GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
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soins de M. Aillaud. Il n’est pas une tête de cette vaste composition qui
ne soit digne d’une étude attentive...
Mais souvenons-nous du supplice de Prométhée. Il y a certaines au-
daces dont on peut se repentir; elles déjouent la puissance humaine.
Ravir le feu du ciel sur le char du soleil a pu être dans les temps fabu-
leux une entreprise criminelle, mais tenter de décrire la voûte de Sainte-
Cécile serait un projet parfaitement insensé. Deux mille mètres de super-
ficie se déroulent sous votre regard. Un fond d’azur éclatant ajoute au
relief des scènes bibliques, des paraboles, des légendes, des personnages
dispersés au milieu d’arabesques réhaussés d’or, à travers lesquels l’œil,
toujours séduit, donne à l’esprit du spectateur la sensation d’une flore
inconnue, pleine de magie, d’exubérance et de caprices. La faune des
rêves les plus étranges, tempérés par une main savante et déliée qui a
pour règle le goût épuré de la belle période du xvie siècle, couvre cette
surface mille fois rompue par les nervures de la voûte, et chaque frag-
ment devient un tout sous le pinceau de l’artiste, sans que l’unité géné-
rale souffre de cette inexprimable variété. C’est dans le livre de M. Aillaud
que ceux qui n’ont pas vu les peintures de la cathédrale d’Àlbi devront
les chercher; c’est au crayon de M. Paul Laurent que nous demandons de
suppléer notre insuffisance pour faire apprécier de nos lecteurs la voûte
de la chapelle des Anges, et c’est dans la tribune de l’abside que nous
donnons rendez-vous au voyageur pour embrasser d'un coup d’œil et la
voûte et les sculptures de la cathédrale d’Albi.
Il est permis de penser qu’en jetant un fond sur la voûte de Sainte-
Cécile on a tenté de tromper le regard en faisant plus légères, plus sveltes
les travées ogivales de cette immense étendue. Ce but n’a pas été com-
plètement atteint. Un artiste, David d’Angers, traversant Albi, a laissé ces
lignes sur son carnet de voyage : « La peinture n’a pas un aspect aussi
religieux que la sculpture dans les monuments gothiques. Il semble
qu’on soit dans un salon tapissé. La couleur est trop factice pour les
temples. Il leur faut la durée et ce qui en rappelle l’idée. Il semble aussi
que les peintures du plafond le rapprochent du sol, tandis que dans les
vieilles basiliques la voûte paraît excessivement élevée par le vague mys-
térieux répandu sur la pierre noircie, qui reçoit peu de lumière des
vitraux rendus obscurs par la couleur1. » Nous laissons au statuaire son
opinion personnelle sur la couleur : n’oublions pas que toute pensée de
sculpteur est relief. Mais ce qu’il faut retenir, c’est l’impression que lui
a laissée la voûte. Il la juge rapprochée du sol, et ce sont les peintures
Yov. notre ouvrage David d’Angers, t. II, p. 258.
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soins de M. Aillaud. Il n’est pas une tête de cette vaste composition qui
ne soit digne d’une étude attentive...
Mais souvenons-nous du supplice de Prométhée. Il y a certaines au-
daces dont on peut se repentir; elles déjouent la puissance humaine.
Ravir le feu du ciel sur le char du soleil a pu être dans les temps fabu-
leux une entreprise criminelle, mais tenter de décrire la voûte de Sainte-
Cécile serait un projet parfaitement insensé. Deux mille mètres de super-
ficie se déroulent sous votre regard. Un fond d’azur éclatant ajoute au
relief des scènes bibliques, des paraboles, des légendes, des personnages
dispersés au milieu d’arabesques réhaussés d’or, à travers lesquels l’œil,
toujours séduit, donne à l’esprit du spectateur la sensation d’une flore
inconnue, pleine de magie, d’exubérance et de caprices. La faune des
rêves les plus étranges, tempérés par une main savante et déliée qui a
pour règle le goût épuré de la belle période du xvie siècle, couvre cette
surface mille fois rompue par les nervures de la voûte, et chaque frag-
ment devient un tout sous le pinceau de l’artiste, sans que l’unité géné-
rale souffre de cette inexprimable variété. C’est dans le livre de M. Aillaud
que ceux qui n’ont pas vu les peintures de la cathédrale d’Àlbi devront
les chercher; c’est au crayon de M. Paul Laurent que nous demandons de
suppléer notre insuffisance pour faire apprécier de nos lecteurs la voûte
de la chapelle des Anges, et c’est dans la tribune de l’abside que nous
donnons rendez-vous au voyageur pour embrasser d'un coup d’œil et la
voûte et les sculptures de la cathédrale d’Albi.
Il est permis de penser qu’en jetant un fond sur la voûte de Sainte-
Cécile on a tenté de tromper le regard en faisant plus légères, plus sveltes
les travées ogivales de cette immense étendue. Ce but n’a pas été com-
plètement atteint. Un artiste, David d’Angers, traversant Albi, a laissé ces
lignes sur son carnet de voyage : « La peinture n’a pas un aspect aussi
religieux que la sculpture dans les monuments gothiques. Il semble
qu’on soit dans un salon tapissé. La couleur est trop factice pour les
temples. Il leur faut la durée et ce qui en rappelle l’idée. Il semble aussi
que les peintures du plafond le rapprochent du sol, tandis que dans les
vieilles basiliques la voûte paraît excessivement élevée par le vague mys-
térieux répandu sur la pierre noircie, qui reçoit peu de lumière des
vitraux rendus obscurs par la couleur1. » Nous laissons au statuaire son
opinion personnelle sur la couleur : n’oublions pas que toute pensée de
sculpteur est relief. Mais ce qu’il faut retenir, c’est l’impression que lui
a laissée la voûte. Il la juge rapprochée du sol, et ce sont les peintures
Yov. notre ouvrage David d’Angers, t. II, p. 258.