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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
vre de la collection La Caze, elle apporte dans les séries du Louvre
une note toute nouvelle de poésie passionnée1.
Sans avoir aussi haute portée — simple anecdote, mais où l'art
de conter vaut encore mieux que ce que l'on conte, — une amusante
petite peinture de Boilly vient, de son côté, agréablement compléter
cet ensemble choisi. C’est, moins un tableau qu’une étude, spirituel-
lement composée, librement enlevée devant la nature, et dont la
facture vive et légère a une fraîcheur de spontanéité et de premier
jet, qui manque souvent aux œuvres plus achevées. Boilly a évidem-
ment croqué d’abord au passage sur quelque feuillet d’album ce
groupe d'Amateurs d’estampes, avant de le reprendre dans l’atelier,
aussi naturel et simple, aussi réel et vivant qu’il l’avait surpris. La
jeune femme, toute gracieuse en sa lumineuse robe de satin blanc,
portant négligemment du bras gauche un châle de laine blanche, se
penche à demi, pour contempler l’estampe que tient un homme en
culotte courte, bas blancs, escarpins noirs et habit gris rosé. Un
autre, par derrière, un peu à l’écart, botté, en redingote de même ton,
tenant en main son chapeau de feutre noir, s’est arrêté pour
lorgner également de loin ce qui excite ainsi leur curiosité. L'adroit
observateur que fut Boilly se montre ici tout à fait à son avantage,
sans nulle tension ni apprêt; et ce tableautin, d’un charme rare,
achève de prouver toute la délicatesse de goût qui avait présidé à la
réunion d’œuvres mignonnes et exquises, transmises au Louvre par
la générosité de M. Maurice Audéoud. En même temps que le
bienfaiteur insigne, on peut donc honorer en lui le collectionneur et
l’amateur raffiné2.
Avant d’aborder le groupe des importantes acquisitions faites en
ces deux dernières années, dont les célèbres portraits de Chardin,
1. Ce n’est pas la première fois, d’ailleurs, qu’il est parlé dans la Gazette de
ce chef-d’œuvre. La peinture figura en 1860 à la célèbre Exposition du boulevard
des Italiens, avec la plupart des trésors de la collection Walferdin, et Thoré-
Bürger ne manqua pas alors d’en signaler le charme ici même, en termes qu’on
ne pourrait que contresigner (Gazette clés Beaux-Arts, 1860, t. II, p. 348).
2. Encore faut-il se garder d’oublier, comme dernier apport précieux de la
donation Audéoud — bien qu’il ne rentre qu’à demi dans le cadre des œuvres
ici étudiées — le charmant manuscrit original des Concourt, Notes d'un voyage
en Italie(1855-56), où se jouent, au cours des pages, des dessins et aquarelles de
Jules de Concourt, généralement enlevés avec esprit, dans une note chaude et
colorée du plus délicieux effet. On y sent, notamment, plus d’une fois l’ami et
le contemporain de Gavarni. C’est à la vente de la célèbre collection (Livres
modernes, avril 1897, n° 837) que M. Audéoud avait également acquis ce volume.
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
vre de la collection La Caze, elle apporte dans les séries du Louvre
une note toute nouvelle de poésie passionnée1.
Sans avoir aussi haute portée — simple anecdote, mais où l'art
de conter vaut encore mieux que ce que l'on conte, — une amusante
petite peinture de Boilly vient, de son côté, agréablement compléter
cet ensemble choisi. C’est, moins un tableau qu’une étude, spirituel-
lement composée, librement enlevée devant la nature, et dont la
facture vive et légère a une fraîcheur de spontanéité et de premier
jet, qui manque souvent aux œuvres plus achevées. Boilly a évidem-
ment croqué d’abord au passage sur quelque feuillet d’album ce
groupe d'Amateurs d’estampes, avant de le reprendre dans l’atelier,
aussi naturel et simple, aussi réel et vivant qu’il l’avait surpris. La
jeune femme, toute gracieuse en sa lumineuse robe de satin blanc,
portant négligemment du bras gauche un châle de laine blanche, se
penche à demi, pour contempler l’estampe que tient un homme en
culotte courte, bas blancs, escarpins noirs et habit gris rosé. Un
autre, par derrière, un peu à l’écart, botté, en redingote de même ton,
tenant en main son chapeau de feutre noir, s’est arrêté pour
lorgner également de loin ce qui excite ainsi leur curiosité. L'adroit
observateur que fut Boilly se montre ici tout à fait à son avantage,
sans nulle tension ni apprêt; et ce tableautin, d’un charme rare,
achève de prouver toute la délicatesse de goût qui avait présidé à la
réunion d’œuvres mignonnes et exquises, transmises au Louvre par
la générosité de M. Maurice Audéoud. En même temps que le
bienfaiteur insigne, on peut donc honorer en lui le collectionneur et
l’amateur raffiné2.
Avant d’aborder le groupe des importantes acquisitions faites en
ces deux dernières années, dont les célèbres portraits de Chardin,
1. Ce n’est pas la première fois, d’ailleurs, qu’il est parlé dans la Gazette de
ce chef-d’œuvre. La peinture figura en 1860 à la célèbre Exposition du boulevard
des Italiens, avec la plupart des trésors de la collection Walferdin, et Thoré-
Bürger ne manqua pas alors d’en signaler le charme ici même, en termes qu’on
ne pourrait que contresigner (Gazette clés Beaux-Arts, 1860, t. II, p. 348).
2. Encore faut-il se garder d’oublier, comme dernier apport précieux de la
donation Audéoud — bien qu’il ne rentre qu’à demi dans le cadre des œuvres
ici étudiées — le charmant manuscrit original des Concourt, Notes d'un voyage
en Italie(1855-56), où se jouent, au cours des pages, des dessins et aquarelles de
Jules de Concourt, généralement enlevés avec esprit, dans une note chaude et
colorée du plus délicieux effet. On y sent, notamment, plus d’une fois l’ami et
le contemporain de Gavarni. C’est à la vente de la célèbre collection (Livres
modernes, avril 1897, n° 837) que M. Audéoud avait également acquis ce volume.