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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
séduit les contemporains par l’ingénuité du motif, et qu’ils aient
souhaité en posséder des répliques. Dès 1741, Chardin dut se répéter,
pour répondre au désir de quelque amateur, comme il le fit tant de
fois pour ses tableaux à succès1, et en 1742 la charmante gravure
de Lépicié acheva de consacrer la popularité du tableau, sous le
litre désormais classique du Toton.
L'autre tableau a été rigoureusement conçu en pendant, de
même forme, de mêmes dimensions et de même esprit. De même
que l’enfant se détachait sur un fond très simple de tenture grise,
coupée de place en place par des bandes rouges ou vert olive, lais-
sant toute valeur à la figure, c'est sur un fond gris complètement
uni qu'apparaît ici le personnage. La lumière les baigne, d’ailleurs,
également l'un comme l’autre, plus caressante peut-être pour le
premier, plus éclatante et vive pour le second, leur arrivant de face
à tous deux en plein visage. Cette œuvre, d'un caractère plus sérieux
et plus grave, et quiue fut pas exposée par Chardin au Salon, a gardé
ainsi une fraîcheur encore plus rare d'inédit. Bien que moins
connue jusqu'ici que l'autre, elle l'égale amplement aujourd’hui en
célébrité. Le jeune homme, en habit gris verdâtre à boutons d’or,
que dépassent les blancs du jabot et des manches légères, les cheveux
poudrés noués d’un large catogan, semble animé par 1 ardeur d'une
occupation à peine interrompue. Assis en avant sur sa chaise, un
violon sous le bras, l’archet en main, il n’a l’air d’avoir arrêté un
moment son jeu que pour se retourner vers un spectateur invisible.
Les deux mains, admirablement observées, sont encore presque en
mouvement, aussi bien celle qui tient l’archet d'une prise si ferme
1. De là, la fameuse réplique de la collection Groult (signée et datée 1741),
provenant de la vente Cypierre (1845, n° 23 du cat.), prêtée en 1860 par le
marquis de Montesquiou à l’Exposition du boulevard des Italiens, et qui paraît
avoir figuré, dès 1745, à la vente du chevalier de la Roque (n° 173). Longtemps
confondue, malgré l'impossibilité des dates, avec l’original encore non retrouvé
du Salon de 1738 (les Concourt, notamment, s’y sont trompés), elle a bénéficié
de ce fait d’une certaine célébrité ; et nul n’ignore avec quelle virulence, récem-
ment encore, on tenta, lors de l’Exposition Chardin-Fragonard, en ressuscitant
l’erreur autrefois commise, d’en faire une machine de guerre contre le Louvre.
D’une œuvre à l’autre, pourtant, les différences sautent aux yeux ; et l’exécu-
tion, ici incomparablement plus grosse, rapide et sommaire, témoigne visible-
ment — en dehors même des dommages subis — d’une reprise d’atelier loin
du modèle. La place de la signature, ceitains détails du personnage ou de la
nature morte ne sont pas, non plus, exactement pareils, Chardin ayant toujours
eu soin, dans ces répétitions avec variantes (c’est le terme employé par les cata-
logues du Salon), d’apporter une modification, même légère, sur quelque point.
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séduit les contemporains par l’ingénuité du motif, et qu’ils aient
souhaité en posséder des répliques. Dès 1741, Chardin dut se répéter,
pour répondre au désir de quelque amateur, comme il le fit tant de
fois pour ses tableaux à succès1, et en 1742 la charmante gravure
de Lépicié acheva de consacrer la popularité du tableau, sous le
litre désormais classique du Toton.
L'autre tableau a été rigoureusement conçu en pendant, de
même forme, de mêmes dimensions et de même esprit. De même
que l’enfant se détachait sur un fond très simple de tenture grise,
coupée de place en place par des bandes rouges ou vert olive, lais-
sant toute valeur à la figure, c'est sur un fond gris complètement
uni qu'apparaît ici le personnage. La lumière les baigne, d’ailleurs,
également l'un comme l’autre, plus caressante peut-être pour le
premier, plus éclatante et vive pour le second, leur arrivant de face
à tous deux en plein visage. Cette œuvre, d'un caractère plus sérieux
et plus grave, et quiue fut pas exposée par Chardin au Salon, a gardé
ainsi une fraîcheur encore plus rare d'inédit. Bien que moins
connue jusqu'ici que l'autre, elle l'égale amplement aujourd’hui en
célébrité. Le jeune homme, en habit gris verdâtre à boutons d’or,
que dépassent les blancs du jabot et des manches légères, les cheveux
poudrés noués d’un large catogan, semble animé par 1 ardeur d'une
occupation à peine interrompue. Assis en avant sur sa chaise, un
violon sous le bras, l’archet en main, il n’a l’air d’avoir arrêté un
moment son jeu que pour se retourner vers un spectateur invisible.
Les deux mains, admirablement observées, sont encore presque en
mouvement, aussi bien celle qui tient l’archet d'une prise si ferme
1. De là, la fameuse réplique de la collection Groult (signée et datée 1741),
provenant de la vente Cypierre (1845, n° 23 du cat.), prêtée en 1860 par le
marquis de Montesquiou à l’Exposition du boulevard des Italiens, et qui paraît
avoir figuré, dès 1745, à la vente du chevalier de la Roque (n° 173). Longtemps
confondue, malgré l'impossibilité des dates, avec l’original encore non retrouvé
du Salon de 1738 (les Concourt, notamment, s’y sont trompés), elle a bénéficié
de ce fait d’une certaine célébrité ; et nul n’ignore avec quelle virulence, récem-
ment encore, on tenta, lors de l’Exposition Chardin-Fragonard, en ressuscitant
l’erreur autrefois commise, d’en faire une machine de guerre contre le Louvre.
D’une œuvre à l’autre, pourtant, les différences sautent aux yeux ; et l’exécu-
tion, ici incomparablement plus grosse, rapide et sommaire, témoigne visible-
ment — en dehors même des dommages subis — d’une reprise d’atelier loin
du modèle. La place de la signature, ceitains détails du personnage ou de la
nature morte ne sont pas, non plus, exactement pareils, Chardin ayant toujours
eu soin, dans ces répétitions avec variantes (c’est le terme employé par les cata-
logues du Salon), d’apporter une modification, même légère, sur quelque point.