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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 4. Pér. 7.1912

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Nr. 2
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Koechlin, Charles: Chronique musicale
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https://doi.org/10.11588/diglit.24884#0171

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GAZETTE DES BEAUX-ARTS

emploi est très difficile, Wagner lui-même n’a pas toujours raison, surtout quand
il fait chanter à la voix des parties mélodiques moins belles que celles de
l'orchestre accompagnant cette voix. D’autre part, des œuvres immortelles :
Faust, Carmen, Boris Godounoff, Pellcas et Mélisande, sont peu symphoniques. Je
pense qu’il ne faut pas être l’esclave d’un système préétabli, et qu’au fond la
logique n’est pas le premier devoir de l'artiste. Ce sont les résultats qui
importent, non les théories. Il serait d’ailleurs absurde de condamner a priori le
drame symphonique, sous prétexte de longueurs: celles-ci ne proviennent, le plus
souvent, ni d’une situation théâtrale sans intérêt, ni de la sorte de forme musicale,
mais de la mauvaise qualité de la musique, ou de telle maladresse de réalisation.
Il faut qu’on nous intéresse ou, mieux, qu’on nous émeuve, et cela de plus en
plus à mesure que le dénouement approche : voilà, je suppose, la seule loi. Il
me paraît bien que, malgré une exposition un peu obscure, étouffée par un
orchestre peut-être trop contrepointé, M. Magnard lui a très heureusement et
très mélodiquement obéi, jusqu’à la scène finale qui couronne l’œuvre par un
récit d’une beauté antique, vivante et superbe.

Pour moi, Bérénice est donc bien tout à la fois du théâtre et de la musique. Je
voudrais maintenant que cette belle œuvre fût une leçon pour les « jeunes », non
seulement par les modèles de force et de santé qu’elle nous offre, mais parce
qu’elle vient à point pour que je leur dise : « Soyez vous-mêmes, ne cherchez pas
la nouveauté, ni la complication, et ne les admettez que si cela vous paraît abso-
lument nécessaire. Sans doute, il y a des artistes naturellement raffinés, comme
M. F auré, M. Debussy, M. Ravel. Mais vous, pour la plupart, vous êtes de bons
bourgeois aux sentiments pondérés, modérés; par la crainte du banal (que
d’ailleurs vous n’évitez pas davantage par des harmonies recherchées;, vous
annihilez la force de rythme que vous avez sans doute au fond de vous-mêmes,
et vous revêtez fâcheusement votre mélodie : c’est dommage, peut-être ne serait-
elle pas sans charme, toute nue... Relisez M. Magnard, inspirez-vous de sa modes-
tie et de son bon sens : « Dépourvu du génie nécessaire pour créer une nouvelle
« forme lyrique... » 11 a fait comme les bons peintres d’autrefois, qui ne se sou-
ciaient que d’imifer leurs maîtres. Mais ils étaient originaux quand même,
malgré eux. M. Magnard l’est aussi, sans préméditation, soyez-en sûrs. Et son
œuvre, je le crois bien, est de celles qui resteront. »

CHARLES KŒCHLIN
 
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