Universitätsbibliothek HeidelbergUniversitätsbibliothek Heidelberg
Metadaten

Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 5. Pér. 11.1925

DOI issue:
Nr. 5
DOI article:
Jamot, Paul: Un portrait d'inconnu au musée du Louvre
DOI Page / Citation link:
https://doi.org/10.11588/diglit.24945#0314

DWork-Logo
Overview
Facsimile
0.5
1 cm
facsimile
Scroll
OCR fulltext
278

GAZETTE DES BEAUX-ARTS

concision et cette facilité qui donnent tant de prix aux meilleurs ouvrages de
ce siècle si glorieux pour l’esprit français. Le peintre est un coloriste, bien
qu’il se contente d’une gamme réduite qui va du noir au roux doré et que
rehausse un magistral emploi du blanc. La matière est belle. Le visage mon-
tre une facture fine, souple et serrée, les chairs modelées dans une pâte
mince et lisse, avec laquelle contrastent les larges empâtements de blanc du
bonnet et les touches rapides de 1 habit.

Qui, dans la première moitié du xviii* siècle, époque à laquelle semble se
rapporter cette peinture, qui a si heureusement réuni les dons du praticien
et de l’artiste ? Deux noms viennent à l'esprit : Walteau, Chardin. Cette
peinture n’est pas indigne de l’un ou de l’autre de ces illustres patronages.

Mais, si rien n’est au-dessus de Chardin, pour qui envisage la plastique
pure et la perfection du rendu, on peut bien dire, sans faire tort à l’admi-
rable peintre des intimités bourgeoises, qu’il ne manifeste pas dans l’inter-
prétation du visage humain la curiosité psychologique, la pénétration et la
profondeur dont témoigne l’auteur de notre Inconnu. Chardin 11’est pas un
curieux d'âmes. S’il arrive qu’il ait à faire un portrait, le sien ou celui d’un
autre, il fait toujours une excellente peinture; mais ce n’est pas le secret
mystérieux et unique, caché dans toute personne humaine, qui l’attire et
qu’il cherche à percer. Au fond, un visage ne l’intéresse pas plus ni autre-
ment que la chair bien veloutée d’une pèche ou le cuivre d’un ustensile de
cuisine. Qu’on ne s’y laisse pas tromper par la charmante bonhomie qu’il a
mise à peindre sa propre image, avec son foulard et son abat-jour, dans le
singulier attirail de vieille bonne femme qui était sa tenue d’atelier ! Char-
din n’est pas un portraitiste. Il n’est à l’aise que dans les figurines dont il
peuple ses tableaux d’intérieur, la Pourvoyeuse, le Bénédicité, la Mère labo-
rieuse. Là, dans des dimensions si restreintes, il ne peut être question de tra-
duire les singularités des physionomies et des caractères. Les acteurs de ces
délicieux tableautins vaquent à leurs occupations, vont et viennent au natu-
rel devant nous. Mais tout est dans la justesse et la vérité des silhouettes,
des gestes, des attitudes, non dans l’expression des visages. Tableaux de
genre, petites ou grandes figures, portraits, Enfant au loton, Jeune homme
au violon, effigies du peintre et de sa femme, tout cela respire une honnête
et saine poésie, tout cela est paisible, calme, placide même.

On ne saurait rien concevoir de plus étranger à l’air vif et impatient de
notre Inconnu. Dans toute l’œuvre de Chardin, on ne trouverait pas un
sourcil aussi nerveusement contracté, un regard si perçant, une bouche aux
lèvres si parlantes et si spirituelles. Pour Chardin, les yeux servent à regar-
der, à observer, avec un tranquille amour du simple et du vrai et les lèvres
ont un demi-sourire qui marque plus de bonté que de malice.
 
Annotationen