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VII.
Le sculpteur doit résumer l'action en l'éle-
vant. Il n'est pas maître de retracer les inci-
dents successifs d'un grand événement. Il
évoque l'histoire d'un héros, les annales d'une
notion, et tout à coup on l'entend qui se dit
à lui-même : C'est cela ! Je grouperai les
poètes et les philosophes, les magistrats et
les savants, les artistes et les hommes de ba-
taille : tousse dirigeront dans un élan magni-
fique vers la Patrie reconnaissante; la Li-
berté aura tressé de ses mains les couronnes
immortelles, et les siècles salueront un peuple
devant cette page magistrale, œuvre du
sculpteur.
David d'Angers a eu raison d'écrire : « La
sculpture est la tragédie des arts. »
Toutefois, c'est une tragédie faite de syn-
thèse.
Le bas-relief, plus qu'aucun autre genre
en sculpture, exige chez l'artiste une étude
philosophique du sujet.
Encore qu'il lui soit permis de parler sa
pensée à l'aide de figures nombreuses, il doit
songer au caractère monumental de son œu-
vre. L'unité saisissante, grande et simple, est
exigée de lui.
C'est en vain que le sculpteur tenterait de
se comparer au peintre d'histoire. Quelques
affinités les rapprochent; rien ne les fait
égaux. A l'un, la perspective aux lointains
sans limites, le jeu durable et factice des om-
bres, la magie de la couleur. A l'autre, quel-
ques plans en surface, des ombres capricieu-
ses et changeantes, et pour coloris, la teinte
uniforme de la pierre.
Non, l'œuvre modelée ne relève pas de la
même syntaxe que le tableau d'histoire.
Sans doute le statuaire en ronde bosse n'a
qu'un seul mot pour exprimer sa pensée.
Plus son œuvre est parfaite au point de vue
plastique, plus aussi elle doit être simple
sous le rapport de l'action. Il y a des mar-
bres qui ont le caractère d'un monosyllabe.
Le sculpteur d'un bas-relief use d'une plus
grande latitude. Où le statuaire ne disposait
que d'un mot, il a le droit de modeler une
scène. Mais là s'arrêtent ses immunités. Il
n'est pas le poëte qui déroule sa trame aux plis
variés sous l'œil du spectateur. Il n'est pas le
peintre dont la toile peut enfermer le désert,
l'Océan, les grandes forêts, le ciel éclatant
ou ténébreux.
Une scène, un groupe, un plan, telle est
dans son expression rigoureuse la loi du
bas-relief,
(A suivre). henry jouin.
L'ANNÉE ARTISTIQUE
par Victor Champier.
(2e année).
Paris, Quantin, 7, rue Saint-Benoît.
Voici la deuxième année de ce livre excel-
lent, bien supérieur, il faut l'avouer, à Y An-
nuaire de Paul Lacroix qui n'a vécu que trois
années (1860 à 1862) et bien supérieur natu-
rellement à celui de Guyot de Fère qui n'était
à proprement parler qu'un livre d'adresses.
Celui-ci réunit l'utile à l'agréable et je ne
vois que bien peu de chose à y ajouter pour
le rendre parfait. Nous allons le parcourir
d'un bout à l'autre, en faisant de ci de là telles
observations que de droit. Le Répertoire est
une innovation heureuse qui pourra servir à
bien des gens. C'est la liste de tous les éta-
blissements des Beaux-Arts en Europe avec
les chiffres des budgets et les noms des prin-
cipaux administrateurs d'art, conservateurs,
etc. Dans son Introduction l'auteur nous ap-
prend que l'Italie n'a point fourni de docu-
ments officiels comme les autres nations,
malgré tous ses efforts. En Italie, dit-il,
l'administration se meurt d'anémie. Pour la
Hollande, le budget des Beaux-Arts se solde
par un total que M. Champier indique en
francs. N'est-ce pas une erreur? Ne faut-il
pas lire florins, ce qui serait plus du double.
Je suis porté à croire que ce doit être ainsi,
attendu que pourles autres nations les totaux
sont représentés en argent du pays. Après ce
répertoire, indispensable à tous ceux que
leurs devoirs ou leurs goûts entraînent dans
le mouvement, vient l'histoire de l'adminis-
tration française pendant 1879. C'est un cha-
pitre curieux à plus d'un titre. Le chapitre II
est consacré au Salon. L'auteur y consigne
les avis des principaux critiques français sur
les œuvres principales. Cette mention consti-
tue encore une précieuse et utile innovation.
Le chapitre III s'occupe de l'hôtel Drouot
et des ventes. Ce travail essentiellement pra-
tique sera goûté par le monde des amateurs
de la curiosité. L'auteur y consigne, à titre
de souvenir, les prix obtenus par les tableaux
des collections de valeur exposées aux en-
chères publiques. Le chapitre IV renferme la
chronique de l'année; elle enregistre les prin-
cipaux événements de 1879, de ceux du moins
qui concernent les arts. L'art en province
occupe le chapitre V : c'est d'un intérêt réel
et l'on peut, au moyen de ce rapide et excel-
lent exposé, s'identifier à la part prise en
province à l'impulsion venue de Paris. L'art
à l'étranger constitue le chapitre VI. Ici
M. Champier est tributaire de ses correspon-
dants et n'assure en rien les allégations for-
mulées, lesquelles sont parfois fautives. Je
citerai nommément cette assertion page 296
(laquelle par parenthèse se trouve répétée
page 3o5). « La revue (Die graphische kunste)
est aujourd'hui le seul journal en Autriche et
en Allemagne qui contienne des gravures à
l'eau-forte. » Or, l'Autriche et l'Allemagne
comptent au contraire plus d'un journal d'art.
Je citerai notamment la splendide Galette
des Beaux-Arts de Leipzig qui est arrivé à sa
15me année. Je saisirai l'occasion que m'offre
cette remarque pour engager M. Champier
à donner dans son Annuaire prochain la liste
des journaux d'art qui existent en Europe.Ce
n'est point là un travail d'une très grande
difficulté et je le crois intéressant à plus d'un
titre. Les bibliographies si savantes et si con-
sciencieuses qui se publient à Leipzig lui
seront d'un précieux secours. La Bibliogra-
phie artistique de la France et de l'étranger
pendant l'année 1879 constitue le chap. VII
Je n'y rencontre pas le livre si bien fait de
Henri Hymans (l'Histoire de la gravure
sous Rubens). Il est évident qu'en cherchant
bien on trouverait plus d'une lacune encore.
Mais il faut tenir compte de la difficulté
d'un travail de ce genre et se tenir pour très
satisfait en présence même de son infériorité
relative. Le chapitre VIII renferme des no-
tices nécrologiques, au nombre de 60, très
exactement écrites. Un Appendice contient
en une centaine de pages des documents offi-
ciels qu'on est tout heureux de rencontrer là.
Somme toute, publication utile, bien con-
çue, bien dirigée et durable. Le temps dira à
l'auteur les améliorations qu'il y peut, qu'il
y doit apporter. Au nombre de celles-là ne
faudrait-il pas i° une iconographie générale.
20 La liste des musées qui ont des livrets
avec la date des dernières éditions de ceux-
ci? Je soumets très humblement ces visées à
l'attention de M. Champier qui me paraît
tellement animé du désir de faire mieux en-
core que ce serait une faute de ne pas l'aider.
S.
les grandes publications modernes.
PARIS A TRAVERS LES AGES.
Livraisons : 7, 8 et g.
(Paris : Didot).
Edouard Fournier, ce grand chercheur, ce
profond historien de Paris, cet homme qui
était une des plus sympathiques figures de
la république des lettres, ce digne citoyen,
ce noble père de famille dont tout le monde
était fier, ce travailleur modeste et infatigable
est mort tout récemment à 61 ans, en même
temps que Gustave Flaubert. Le bruit qu'a
fait la mort du romancier brillant, mais
inutile et perfide, a dominé la tristesse des
gens sérieux devant le cercueil de celui dont
la mémoire restera pure et debout alors que
tant d'autres renommées seront éteintes.
Edouard Fournier laisse une grande œuvre
inachevée. Mais elle était cependant assez
avancée pour qu'on en puisse apprécier l'im-
portance et la valeur, et les notes qu'il a
laissées permettront de conduire jusqu'au
bout ce monument qu'on appelle Paris à
travers les âges et dont il avait la direction.
Le vieux Paris n'est plus mort ; Fournier
et ses collaborateurs l'ont ressuscité, car c'est
plus qu'une restitution. La vieille Lutèce re-
vit sans le moindre atome laissé au fond de
sa tombe. Il laut lire ces récits qu'une admi-
rable entente de l'intelligence du lecteur a
rendus si amusants, pour comprendre tout ce
VII.
Le sculpteur doit résumer l'action en l'éle-
vant. Il n'est pas maître de retracer les inci-
dents successifs d'un grand événement. Il
évoque l'histoire d'un héros, les annales d'une
notion, et tout à coup on l'entend qui se dit
à lui-même : C'est cela ! Je grouperai les
poètes et les philosophes, les magistrats et
les savants, les artistes et les hommes de ba-
taille : tousse dirigeront dans un élan magni-
fique vers la Patrie reconnaissante; la Li-
berté aura tressé de ses mains les couronnes
immortelles, et les siècles salueront un peuple
devant cette page magistrale, œuvre du
sculpteur.
David d'Angers a eu raison d'écrire : « La
sculpture est la tragédie des arts. »
Toutefois, c'est une tragédie faite de syn-
thèse.
Le bas-relief, plus qu'aucun autre genre
en sculpture, exige chez l'artiste une étude
philosophique du sujet.
Encore qu'il lui soit permis de parler sa
pensée à l'aide de figures nombreuses, il doit
songer au caractère monumental de son œu-
vre. L'unité saisissante, grande et simple, est
exigée de lui.
C'est en vain que le sculpteur tenterait de
se comparer au peintre d'histoire. Quelques
affinités les rapprochent; rien ne les fait
égaux. A l'un, la perspective aux lointains
sans limites, le jeu durable et factice des om-
bres, la magie de la couleur. A l'autre, quel-
ques plans en surface, des ombres capricieu-
ses et changeantes, et pour coloris, la teinte
uniforme de la pierre.
Non, l'œuvre modelée ne relève pas de la
même syntaxe que le tableau d'histoire.
Sans doute le statuaire en ronde bosse n'a
qu'un seul mot pour exprimer sa pensée.
Plus son œuvre est parfaite au point de vue
plastique, plus aussi elle doit être simple
sous le rapport de l'action. Il y a des mar-
bres qui ont le caractère d'un monosyllabe.
Le sculpteur d'un bas-relief use d'une plus
grande latitude. Où le statuaire ne disposait
que d'un mot, il a le droit de modeler une
scène. Mais là s'arrêtent ses immunités. Il
n'est pas le poëte qui déroule sa trame aux plis
variés sous l'œil du spectateur. Il n'est pas le
peintre dont la toile peut enfermer le désert,
l'Océan, les grandes forêts, le ciel éclatant
ou ténébreux.
Une scène, un groupe, un plan, telle est
dans son expression rigoureuse la loi du
bas-relief,
(A suivre). henry jouin.
L'ANNÉE ARTISTIQUE
par Victor Champier.
(2e année).
Paris, Quantin, 7, rue Saint-Benoît.
Voici la deuxième année de ce livre excel-
lent, bien supérieur, il faut l'avouer, à Y An-
nuaire de Paul Lacroix qui n'a vécu que trois
années (1860 à 1862) et bien supérieur natu-
rellement à celui de Guyot de Fère qui n'était
à proprement parler qu'un livre d'adresses.
Celui-ci réunit l'utile à l'agréable et je ne
vois que bien peu de chose à y ajouter pour
le rendre parfait. Nous allons le parcourir
d'un bout à l'autre, en faisant de ci de là telles
observations que de droit. Le Répertoire est
une innovation heureuse qui pourra servir à
bien des gens. C'est la liste de tous les éta-
blissements des Beaux-Arts en Europe avec
les chiffres des budgets et les noms des prin-
cipaux administrateurs d'art, conservateurs,
etc. Dans son Introduction l'auteur nous ap-
prend que l'Italie n'a point fourni de docu-
ments officiels comme les autres nations,
malgré tous ses efforts. En Italie, dit-il,
l'administration se meurt d'anémie. Pour la
Hollande, le budget des Beaux-Arts se solde
par un total que M. Champier indique en
francs. N'est-ce pas une erreur? Ne faut-il
pas lire florins, ce qui serait plus du double.
Je suis porté à croire que ce doit être ainsi,
attendu que pourles autres nations les totaux
sont représentés en argent du pays. Après ce
répertoire, indispensable à tous ceux que
leurs devoirs ou leurs goûts entraînent dans
le mouvement, vient l'histoire de l'adminis-
tration française pendant 1879. C'est un cha-
pitre curieux à plus d'un titre. Le chapitre II
est consacré au Salon. L'auteur y consigne
les avis des principaux critiques français sur
les œuvres principales. Cette mention consti-
tue encore une précieuse et utile innovation.
Le chapitre III s'occupe de l'hôtel Drouot
et des ventes. Ce travail essentiellement pra-
tique sera goûté par le monde des amateurs
de la curiosité. L'auteur y consigne, à titre
de souvenir, les prix obtenus par les tableaux
des collections de valeur exposées aux en-
chères publiques. Le chapitre IV renferme la
chronique de l'année; elle enregistre les prin-
cipaux événements de 1879, de ceux du moins
qui concernent les arts. L'art en province
occupe le chapitre V : c'est d'un intérêt réel
et l'on peut, au moyen de ce rapide et excel-
lent exposé, s'identifier à la part prise en
province à l'impulsion venue de Paris. L'art
à l'étranger constitue le chapitre VI. Ici
M. Champier est tributaire de ses correspon-
dants et n'assure en rien les allégations for-
mulées, lesquelles sont parfois fautives. Je
citerai nommément cette assertion page 296
(laquelle par parenthèse se trouve répétée
page 3o5). « La revue (Die graphische kunste)
est aujourd'hui le seul journal en Autriche et
en Allemagne qui contienne des gravures à
l'eau-forte. » Or, l'Autriche et l'Allemagne
comptent au contraire plus d'un journal d'art.
Je citerai notamment la splendide Galette
des Beaux-Arts de Leipzig qui est arrivé à sa
15me année. Je saisirai l'occasion que m'offre
cette remarque pour engager M. Champier
à donner dans son Annuaire prochain la liste
des journaux d'art qui existent en Europe.Ce
n'est point là un travail d'une très grande
difficulté et je le crois intéressant à plus d'un
titre. Les bibliographies si savantes et si con-
sciencieuses qui se publient à Leipzig lui
seront d'un précieux secours. La Bibliogra-
phie artistique de la France et de l'étranger
pendant l'année 1879 constitue le chap. VII
Je n'y rencontre pas le livre si bien fait de
Henri Hymans (l'Histoire de la gravure
sous Rubens). Il est évident qu'en cherchant
bien on trouverait plus d'une lacune encore.
Mais il faut tenir compte de la difficulté
d'un travail de ce genre et se tenir pour très
satisfait en présence même de son infériorité
relative. Le chapitre VIII renferme des no-
tices nécrologiques, au nombre de 60, très
exactement écrites. Un Appendice contient
en une centaine de pages des documents offi-
ciels qu'on est tout heureux de rencontrer là.
Somme toute, publication utile, bien con-
çue, bien dirigée et durable. Le temps dira à
l'auteur les améliorations qu'il y peut, qu'il
y doit apporter. Au nombre de celles-là ne
faudrait-il pas i° une iconographie générale.
20 La liste des musées qui ont des livrets
avec la date des dernières éditions de ceux-
ci? Je soumets très humblement ces visées à
l'attention de M. Champier qui me paraît
tellement animé du désir de faire mieux en-
core que ce serait une faute de ne pas l'aider.
S.
les grandes publications modernes.
PARIS A TRAVERS LES AGES.
Livraisons : 7, 8 et g.
(Paris : Didot).
Edouard Fournier, ce grand chercheur, ce
profond historien de Paris, cet homme qui
était une des plus sympathiques figures de
la république des lettres, ce digne citoyen,
ce noble père de famille dont tout le monde
était fier, ce travailleur modeste et infatigable
est mort tout récemment à 61 ans, en même
temps que Gustave Flaubert. Le bruit qu'a
fait la mort du romancier brillant, mais
inutile et perfide, a dominé la tristesse des
gens sérieux devant le cercueil de celui dont
la mémoire restera pure et debout alors que
tant d'autres renommées seront éteintes.
Edouard Fournier laisse une grande œuvre
inachevée. Mais elle était cependant assez
avancée pour qu'on en puisse apprécier l'im-
portance et la valeur, et les notes qu'il a
laissées permettront de conduire jusqu'au
bout ce monument qu'on appelle Paris à
travers les âges et dont il avait la direction.
Le vieux Paris n'est plus mort ; Fournier
et ses collaborateurs l'ont ressuscité, car c'est
plus qu'une restitution. La vieille Lutèce re-
vit sans le moindre atome laissé au fond de
sa tombe. Il laut lire ces récits qu'une admi-
rable entente de l'intelligence du lecteur a
rendus si amusants, pour comprendre tout ce