talent de l'artiste de faire éclater dans la phy-
sionomie de ses modèles le grand côté de leur
caractère. Or, ce n'est pas un mince mérite à
une époque où il suffit à beaucoup de gens
qu'une figure soit bien faite pour qu'elle les
satisfasse : le côté humain plaît au bourgeois ;
le côté idéal n'est pas son affaire. C'est pour-
quoi nos salons sont inondés d'adroits ma-
quillages de tous genres au moyen desquels,
en nature comme en art, il est si facile d'es-
camoter l'âme et de dissimuler le sentiment
véritable.
Slingeneyer avait 16 ans lorsqu'il fit le
Vengeur, ce chef-d'œuvre qu'il n'a pas encore
dépassé. L'exposition en renferme une esquisse
fortement poussée que tout le monde admire
et qui forme un des joyaux du salon. Le
poème du patriotisme, du désespoir et de la
rage éclate dans cette page avec une intensité
qu'on ne retrouve nulle part ailleurs. C'est
un honneur pour notre école moderne de
pouvoir léguer à la postérité ce Vengeur qui
restera comme est resté le Radeau de la
Méduse. L'œuvre de Slingeneyer, œuvre de
spontanéité juvénile et ardente, aurait dû,
nous semble-t-il, figurer en original dans
cette exposition soi-disant historique au lieu
d'une esquisse très-bien faite, mais qui ne
rend pas dans sa terrible grandeur ce tableau
poignant. Disons à ce propos qu'il faut
s'étonner de ne pas encore voir la gravure
s'emparer de ce tableau pour en faire une re-
production dont le succès nous paraît assuré.
Jean Van Beers est à coup sûr l'artiste le
plus original de notre école. Le nombre de
sss détracteurs diminue en face de l'évidence
de son talent discutable certainement dans
les formes qu'il prend pour se produire, mais
d'une puissante envergure même dans ses
formes parfois incohérentes. Nous croyons que
ce côté là ne doit pas être examiné ni jugé ;
prenons l'artiste pour ce qu'il est. A notre sens
il est en train de se faire tout doucement le
coloriste le plus adroit de notre école et même
de plusieurs autres. D'aucuns disent qu'il n'a
que de l'habileté. Nous ferons remarquer que
l'habileté parvenue à un certain degré est du
génie. Mais il n'a pas que de l'habileté, il a
plus et beaucoup plus; voyez son Artevelde
(qui aurait dû se trouver au palais des Beaux-
Arts). Nous sommes convaincu que si l'œuvre
était venue d'un étranger il n'y aurait pas
assez de paroles pour en vanter la significa-
tion si hautement philosophique, la compo-
sition si désolée et si significative, le per-
sonnage lui-même, abandonné derrière une
palissade après avoir subi les outrages d'un
peuple qui l'adorait la veille encore, cadavre
magnifique qui est toute une haute leçon
d'histoire, tout cela, nous le répétons, jusqu'à
la facture rugueuse de l'œuvre, tout eût été
élevé jusqu'au troisième ciel. Et cet Enterre-
ment de Philijppe-le-Bon qu'on a à peine
regardé alors qu'au bruit des trompettes de
Gambard on admirait à tout rompre certains
Leys pastichés de Wohlgemuth, de Beham
et de Schongauer, qui ne valaient pas ce
tour de force prodigieux. Van Beers a fini
par vaincre la sotte et non moins intéressée
indifférence de certains gens. Il est, il gran-
dira, il restera.
Je n'en veux pour preuve que ce prestigieux
Soir baigné de lumière et d'ombre de manière
à vous donner le vertige. Remarquez comme
cela est peint, ici la pâte est jetée librement,
sans contours appréciables, là elle est enser-
rée comme de l'émail cuit cloisonné. Ici, voici
une figure ravissante dans sa nonchalante
expression, peinte finement et pourtant sans
mignardise; examinez le dessin de ce délicieux
petit modèle de femme, admirez ce gros pa-
quet de nuages si chaudement éclairé par
les derniers rayons du soleil qu'on s'imagine
y être; et cette colline boisée s'effaçant gra-
duellement aux estompages du soir qui ar-
rive. Il faut que cette œuvre d'une rare
insignifiance renferme de prodigieux mérites
pour vous faire éprouver de si délectables
tressaillements. (A suivre),
On se rappellera que, en 1874, lorsque fut
exposé au Cercle artistique et littéraire de
Bruxelles, l'œuvre à peu près entier de Fritz
Vande Kerkhove, il n'y eut qu'un cri d'ad-
miration. Tous les organes de la publicité
célébrèrent à Tenvi cette révélation. Depuis
Y Indépendance jusqu'aux plus petites feuilles
de la capitale, les formules de la louange
furent épuisées et les critiques les plus auto-
risés, comme on dit, rivalisèrent de zèle et
d'éloquence pour chanter sur des diapasons
les plus lyriques, la gloire nouvelle et char-
mante qui venait d'éclore.
Tout à coup, sur un mot d'ordre péremp-
toire, l'enthousiasme cessa sur toute la ligne.
A l'admiration succéda une sorte de dédain
que pourraient difficilement expliquer les cri-
tiques qui avaient compromis et leur savoir
et leur jugement; puis le mot de mystification
fut prononcé.
Les esprits sérieux, ceux qui connaissaient
les causes de ce révirement subit, révélées
étourdiment par un journal bavard, ne s'oc-
cupèrent plus du fait suffisamment clair pour
eux. Une polémique indigne, en ce qu'elle
manquait de loyauté, s'établit dans une por-
tion du public et finit par s'éteindre sous le
désaveu que lui infligea implicitement l'étran-
ger appelé à se prononcer sur la valeur des
tableautins de Fritz. En effet, les journaux
les plus populaires de la France (à l'exception
d'un seul journal dirigé par un belge), et de
l'Allemagne, apprécièrent sans parti pris,
l'œuvre du génial enfant. En Belgique, on
répondit par le sarcasme à cette explosion du
sentiment public du dehors.
Toutes les pièces du procès furent réunies
en un volume qui est le procès-verbal austère
et impartial de cet épisode curieux (1). Ce vo-
lume envoyé à la presse, jeté dans la circula-
tion, ne rencontra aucun contradicteur. Le
silence, silence prudent mais impuissant, se
fit autour de lui. Etait-ce une conspiration?
Etait-ce lassitude? Toujours est-il que ceux-là
mêmes qui pour mettre'leur responsabilité à
couvert s'étaient abrités sous l'idée reconnue
impossible d'une mystification, ceux-là mê-
mes se turent ou s'ils annoncèrent le volume
ils le firent avec cette désinvolture haineuse
et méprisante qui est la façon d'opérer d'une
certaine catégorie de journalistes.
Nous nous trompons, un contradicteur
sérieux, du moins nous le crûmes, un homme
grâve mais sans connaissances artistiques,
se présenta ; ici encore le découragement,
la surprise et l'indignation nous saisirent : la
tactique de cet écrivain était exactement la
même que celle des ennemis vulgaires de
l'enfant de Bruges, c'est-à-dire qu'elle évitait,
avec un soin particulier, de rencontrer les
arguments irréfutables pour se réfugier et se
fortifier dans le système des arguments abso-
(1) L'Enfant de Bruges, 1 vol. in-8, 412 pag. avec
gravures. Bruxelles et Paris 1876.
lument détruits depuis longtemps, mais dont
l'écrivain feignait de ne pas connaître le triste
sort.
Nous lui /fîmes savoir notre opinion per-
sonnelle sur ce procédé. Il nous répondit
qu'il irait voir les œuvres du jeune artiste
qu'il ri'avait jamais vues, puis qu'il aurait une
entrevue avec nous sur ce sujet. En vérité,
n'est-ce pas par là qu'il aurait dû commencer?
Ici encore le contradicteur se déroba dans le
mutisme le plus absolu. Nous n'en entendî-
mes plus parler. Son siège était fait.
Fritz restait acquis à l'histoire avec d'au-
tant plus de force et de raison qu'un fait
nouveau s'était produit : la petite sœur de
l'enfant, âgée de i3 ans, mise au courant des
doutes soulevés au sujet du talent de Fritz,
s'indigna et se mit à expliquer qu'ayant
aidé son infortuné petit frère dans la confec-
tion de ses panneautins, elle pouvait donner
sur sa manière de travailler tous les rensei-
gnements désirables. Elle les donna en pré-
sence de plusieurs personnes, mais, se livrant
à cette, démonstration, ne voila-t-il pas qu'elle
même se mit à créer des tableautins qui éveil-
lèrent l'attention de quelques-uns de nos plus
grands artistes en présence desquels elle tra-
vailla alors comme elle travaille aujour-
d'hui.
Les dispositions de la sœur, sans prouver
absolument le talent du frère, démontraient
du moins ses aptitudes, aptitudes qui sont du
reste un apanage de famille.
Il se produisit alors une chose singulière :
un silence non moins absolu se fit à propos
de cette explication assez naturelle du talent
de Fritz. De nombreux journalistes furent
admis à voir travailler Louise Van de Kerk-
hove ainsi que sa mère douée elle aussi d'un
sens artistique que lui révéla les haines sou-
levées contre son enfant mort. Quantité de
peintres furent également admis à constater
les merveilleuses facilités picturales de ces
femmes artistes. Des journalistes devaient en
parler, les artistes devaient donner de leurs
nouvelles, car les uns comme les autres
avaient manifesté des opinions non moins
enthousiastes que celles provoquées en 1874
par Fritz. Ces journalistes et ces artistes
nous pourrions les nommer. Ils se tûrent
également sur toute la ligne.
Le mot d'ordre était venu.
Van de Kerkhove, au moment où la Bel-
gique allait jeter un regard sur son passé
artistique, crut naturellement que la place
de son fils était marquée à l'exposition histo-
rique. Il réunit une partie de ses œuvres et
l'envoya à qui de droit en y joignant (est-ce
un tort qu'il a eu ?) d'autres productions de
sa famille.
L'envoi fut refusé en bloc.
On aurait pu accepter la part de Fritz,
part suffisamment belle et dont la patrie
peut se montrer fière, mais les mêmes
hommes veillaient et, sans un mot d'explica-
tion, sans même se réfugier sous une formule
quelconque appréciable, celui qui a son nom
acquis dans nos annales, fut mis à la porte !
La famille Van de Kerkhove ne s'est nul-
lement senti offensée par ce refus : elle est
depuis 1874 habituée aux procédés dont
la mémoire de son fils est déjà vengée et,
pour dire le vrai, elle sentait bien que les
mêmes influences allaient se mettre à la tra-
verse de son légitime désir. Elle n'en appelle
pas au public qui est suffisamment éclairé,
mais elle veut participer au droit qu'ont
tous les Belges de montrer la part qu'ils
sionomie de ses modèles le grand côté de leur
caractère. Or, ce n'est pas un mince mérite à
une époque où il suffit à beaucoup de gens
qu'une figure soit bien faite pour qu'elle les
satisfasse : le côté humain plaît au bourgeois ;
le côté idéal n'est pas son affaire. C'est pour-
quoi nos salons sont inondés d'adroits ma-
quillages de tous genres au moyen desquels,
en nature comme en art, il est si facile d'es-
camoter l'âme et de dissimuler le sentiment
véritable.
Slingeneyer avait 16 ans lorsqu'il fit le
Vengeur, ce chef-d'œuvre qu'il n'a pas encore
dépassé. L'exposition en renferme une esquisse
fortement poussée que tout le monde admire
et qui forme un des joyaux du salon. Le
poème du patriotisme, du désespoir et de la
rage éclate dans cette page avec une intensité
qu'on ne retrouve nulle part ailleurs. C'est
un honneur pour notre école moderne de
pouvoir léguer à la postérité ce Vengeur qui
restera comme est resté le Radeau de la
Méduse. L'œuvre de Slingeneyer, œuvre de
spontanéité juvénile et ardente, aurait dû,
nous semble-t-il, figurer en original dans
cette exposition soi-disant historique au lieu
d'une esquisse très-bien faite, mais qui ne
rend pas dans sa terrible grandeur ce tableau
poignant. Disons à ce propos qu'il faut
s'étonner de ne pas encore voir la gravure
s'emparer de ce tableau pour en faire une re-
production dont le succès nous paraît assuré.
Jean Van Beers est à coup sûr l'artiste le
plus original de notre école. Le nombre de
sss détracteurs diminue en face de l'évidence
de son talent discutable certainement dans
les formes qu'il prend pour se produire, mais
d'une puissante envergure même dans ses
formes parfois incohérentes. Nous croyons que
ce côté là ne doit pas être examiné ni jugé ;
prenons l'artiste pour ce qu'il est. A notre sens
il est en train de se faire tout doucement le
coloriste le plus adroit de notre école et même
de plusieurs autres. D'aucuns disent qu'il n'a
que de l'habileté. Nous ferons remarquer que
l'habileté parvenue à un certain degré est du
génie. Mais il n'a pas que de l'habileté, il a
plus et beaucoup plus; voyez son Artevelde
(qui aurait dû se trouver au palais des Beaux-
Arts). Nous sommes convaincu que si l'œuvre
était venue d'un étranger il n'y aurait pas
assez de paroles pour en vanter la significa-
tion si hautement philosophique, la compo-
sition si désolée et si significative, le per-
sonnage lui-même, abandonné derrière une
palissade après avoir subi les outrages d'un
peuple qui l'adorait la veille encore, cadavre
magnifique qui est toute une haute leçon
d'histoire, tout cela, nous le répétons, jusqu'à
la facture rugueuse de l'œuvre, tout eût été
élevé jusqu'au troisième ciel. Et cet Enterre-
ment de Philijppe-le-Bon qu'on a à peine
regardé alors qu'au bruit des trompettes de
Gambard on admirait à tout rompre certains
Leys pastichés de Wohlgemuth, de Beham
et de Schongauer, qui ne valaient pas ce
tour de force prodigieux. Van Beers a fini
par vaincre la sotte et non moins intéressée
indifférence de certains gens. Il est, il gran-
dira, il restera.
Je n'en veux pour preuve que ce prestigieux
Soir baigné de lumière et d'ombre de manière
à vous donner le vertige. Remarquez comme
cela est peint, ici la pâte est jetée librement,
sans contours appréciables, là elle est enser-
rée comme de l'émail cuit cloisonné. Ici, voici
une figure ravissante dans sa nonchalante
expression, peinte finement et pourtant sans
mignardise; examinez le dessin de ce délicieux
petit modèle de femme, admirez ce gros pa-
quet de nuages si chaudement éclairé par
les derniers rayons du soleil qu'on s'imagine
y être; et cette colline boisée s'effaçant gra-
duellement aux estompages du soir qui ar-
rive. Il faut que cette œuvre d'une rare
insignifiance renferme de prodigieux mérites
pour vous faire éprouver de si délectables
tressaillements. (A suivre),
On se rappellera que, en 1874, lorsque fut
exposé au Cercle artistique et littéraire de
Bruxelles, l'œuvre à peu près entier de Fritz
Vande Kerkhove, il n'y eut qu'un cri d'ad-
miration. Tous les organes de la publicité
célébrèrent à Tenvi cette révélation. Depuis
Y Indépendance jusqu'aux plus petites feuilles
de la capitale, les formules de la louange
furent épuisées et les critiques les plus auto-
risés, comme on dit, rivalisèrent de zèle et
d'éloquence pour chanter sur des diapasons
les plus lyriques, la gloire nouvelle et char-
mante qui venait d'éclore.
Tout à coup, sur un mot d'ordre péremp-
toire, l'enthousiasme cessa sur toute la ligne.
A l'admiration succéda une sorte de dédain
que pourraient difficilement expliquer les cri-
tiques qui avaient compromis et leur savoir
et leur jugement; puis le mot de mystification
fut prononcé.
Les esprits sérieux, ceux qui connaissaient
les causes de ce révirement subit, révélées
étourdiment par un journal bavard, ne s'oc-
cupèrent plus du fait suffisamment clair pour
eux. Une polémique indigne, en ce qu'elle
manquait de loyauté, s'établit dans une por-
tion du public et finit par s'éteindre sous le
désaveu que lui infligea implicitement l'étran-
ger appelé à se prononcer sur la valeur des
tableautins de Fritz. En effet, les journaux
les plus populaires de la France (à l'exception
d'un seul journal dirigé par un belge), et de
l'Allemagne, apprécièrent sans parti pris,
l'œuvre du génial enfant. En Belgique, on
répondit par le sarcasme à cette explosion du
sentiment public du dehors.
Toutes les pièces du procès furent réunies
en un volume qui est le procès-verbal austère
et impartial de cet épisode curieux (1). Ce vo-
lume envoyé à la presse, jeté dans la circula-
tion, ne rencontra aucun contradicteur. Le
silence, silence prudent mais impuissant, se
fit autour de lui. Etait-ce une conspiration?
Etait-ce lassitude? Toujours est-il que ceux-là
mêmes qui pour mettre'leur responsabilité à
couvert s'étaient abrités sous l'idée reconnue
impossible d'une mystification, ceux-là mê-
mes se turent ou s'ils annoncèrent le volume
ils le firent avec cette désinvolture haineuse
et méprisante qui est la façon d'opérer d'une
certaine catégorie de journalistes.
Nous nous trompons, un contradicteur
sérieux, du moins nous le crûmes, un homme
grâve mais sans connaissances artistiques,
se présenta ; ici encore le découragement,
la surprise et l'indignation nous saisirent : la
tactique de cet écrivain était exactement la
même que celle des ennemis vulgaires de
l'enfant de Bruges, c'est-à-dire qu'elle évitait,
avec un soin particulier, de rencontrer les
arguments irréfutables pour se réfugier et se
fortifier dans le système des arguments abso-
(1) L'Enfant de Bruges, 1 vol. in-8, 412 pag. avec
gravures. Bruxelles et Paris 1876.
lument détruits depuis longtemps, mais dont
l'écrivain feignait de ne pas connaître le triste
sort.
Nous lui /fîmes savoir notre opinion per-
sonnelle sur ce procédé. Il nous répondit
qu'il irait voir les œuvres du jeune artiste
qu'il ri'avait jamais vues, puis qu'il aurait une
entrevue avec nous sur ce sujet. En vérité,
n'est-ce pas par là qu'il aurait dû commencer?
Ici encore le contradicteur se déroba dans le
mutisme le plus absolu. Nous n'en entendî-
mes plus parler. Son siège était fait.
Fritz restait acquis à l'histoire avec d'au-
tant plus de force et de raison qu'un fait
nouveau s'était produit : la petite sœur de
l'enfant, âgée de i3 ans, mise au courant des
doutes soulevés au sujet du talent de Fritz,
s'indigna et se mit à expliquer qu'ayant
aidé son infortuné petit frère dans la confec-
tion de ses panneautins, elle pouvait donner
sur sa manière de travailler tous les rensei-
gnements désirables. Elle les donna en pré-
sence de plusieurs personnes, mais, se livrant
à cette, démonstration, ne voila-t-il pas qu'elle
même se mit à créer des tableautins qui éveil-
lèrent l'attention de quelques-uns de nos plus
grands artistes en présence desquels elle tra-
vailla alors comme elle travaille aujour-
d'hui.
Les dispositions de la sœur, sans prouver
absolument le talent du frère, démontraient
du moins ses aptitudes, aptitudes qui sont du
reste un apanage de famille.
Il se produisit alors une chose singulière :
un silence non moins absolu se fit à propos
de cette explication assez naturelle du talent
de Fritz. De nombreux journalistes furent
admis à voir travailler Louise Van de Kerk-
hove ainsi que sa mère douée elle aussi d'un
sens artistique que lui révéla les haines sou-
levées contre son enfant mort. Quantité de
peintres furent également admis à constater
les merveilleuses facilités picturales de ces
femmes artistes. Des journalistes devaient en
parler, les artistes devaient donner de leurs
nouvelles, car les uns comme les autres
avaient manifesté des opinions non moins
enthousiastes que celles provoquées en 1874
par Fritz. Ces journalistes et ces artistes
nous pourrions les nommer. Ils se tûrent
également sur toute la ligne.
Le mot d'ordre était venu.
Van de Kerkhove, au moment où la Bel-
gique allait jeter un regard sur son passé
artistique, crut naturellement que la place
de son fils était marquée à l'exposition histo-
rique. Il réunit une partie de ses œuvres et
l'envoya à qui de droit en y joignant (est-ce
un tort qu'il a eu ?) d'autres productions de
sa famille.
L'envoi fut refusé en bloc.
On aurait pu accepter la part de Fritz,
part suffisamment belle et dont la patrie
peut se montrer fière, mais les mêmes
hommes veillaient et, sans un mot d'explica-
tion, sans même se réfugier sous une formule
quelconque appréciable, celui qui a son nom
acquis dans nos annales, fut mis à la porte !
La famille Van de Kerkhove ne s'est nul-
lement senti offensée par ce refus : elle est
depuis 1874 habituée aux procédés dont
la mémoire de son fils est déjà vengée et,
pour dire le vrai, elle sentait bien que les
mêmes influences allaient se mettre à la tra-
verse de son légitime désir. Elle n'en appelle
pas au public qui est suffisamment éclairé,
mais elle veut participer au droit qu'ont
tous les Belges de montrer la part qu'ils