22
LA CHRONIQUE DES ARTS
système des achats, etc., et aussi les réformes dé-
sirables à tous points de vue, notamment en ce qui
concerne la sécurité si souvent et si vainement ré-
clamée pour nos collections.
Les études qui suivent — fruits également d'une
longue et féconde expérience — sur la nature con-
seillère des artistes et sur le dessin chez Léonard
de Vinci, c’est-à-dire chez le maître qui, dans ses
travaux graphiques et ses écrits, a peut-êtie le
plus approfondi les secrets de cette nature, ne se-
ront pas moins profitables à la fois aux critiques
et aux peintres.
Enfin, deux monographies extrêmement atta-
chantes terminent le livre ; l’auteur y évoque de
la façon la plus vivante la physionomie de deux
amateurs éminents : Claude Fabri de Peiresc et
Constantin Huygens, qui, presque en même temps,
l’un en France, l’autre en Hollande, «apparaissent
comme les types accomplis d’une race qui, de plus
en plus, tend à disparaître, celle de ces mécènes
intelligents, ouverts à toutes les nobles aspirations,
prodiguant aux artistes les encouragements les
plus délicats et les plus féconds. »
A. M.
Painting in the Far East, by Laurence Bynion,
Londres, Edward Arnold, 1908. Un vol. in-4°,
287 p. av. 30 planches.
« La peinture en Extrême-Orient » ! Combien
souriront encore à l’idée qu’on ait pu écrire un
livre sur un sujet aussi problématique ! et que ce
livre ait pu être écrit par un fonctionnaire d’un
des plus grands musées du monde, qui vit et tra-
vaille au milieu des trésors du cabinet des dessins
et estampes du British Muséum ! Cela est, cepen-
dant ; et qu’il vous oblige à reconnaître la rigueur
de ses méthodes d’investigation (autant que le sujet
peut à l’heure actuelle en supporter l’application),
— la valeur de ses idées générales, qui n’oublient
jamais de relier les œuvres étudiées à celles qui
sont les plus familières à notre imagination et à
notre intelligence parce qu’elles nous touchent de
plus près, — le charme de son esprit et de son
goût, parce qu’il est un poète dont l’imagination
est riche et la sensibilité délicate, — c’est ce qu’a
bien su réaliser M. Laurence Bynion : grâce à
lui, pour la première fois, on pourra, d’un coup
d’œil d’ensemble qui ne se perdra pas dans des
horizons trop vastes, comprendre la grandeur et
la beauté de l’art chinois et de l’art japonais dans
une de leurs plus hautes manifestations.
Un premier chapitre de philosophie esthétique
délimite bien la portée du sujet et le raccorde par
une suite de comparaisons intéressantes aux grands
idéals de notre humanité occidentale. On ne sau-
rait trop répéter par combien de points de vue il
en diffère, et que le moule où se sont façonnées
certaines idées de l’Extrême-Orient en art est d’un
calibre où ne trouvent pas facilement à pénétrer
les nôtres.
Le chapitre des origines est du plus vif intérêt
et vient au bon moment, aujourd’hui où les fouilles
récentes du Turkestan chinois ont enrichi la science
d’une quantité de monuments qui permettront d’éta-
blir la filiation directe des premières sculptures
bouddhiques de la Chine et du Japon. M. Bynion
n’a eu qu’à regarder autour de lui, dans ce British
Muséum où M. Aurel Stein, le fouilleur de Kho-
tan, a versé toutes les collections qu’il y a recueil-
lies. S’appuyant sur les itinéraires des voyageurs
chinois des premiers siècles de l’ère chrétienne,
il est possible dès maintenant de repérer les che-
mins qu’ont suivis les caravanes qui, de l’Inde,
ont véhiculé tant de formules artistiques dont les
traces se retrouvent dans les premières peintures
de la Chine, d’un idéalisme si pur.
M. Bynion part donc de ces premières écoles
chinoises de peinture, s’appuyant sur le bon dé-
pouillement des annales anciennes opéré par
M. Giles, le savant professeur de l’Université de
New-York, et sur le monument le plus ancien, le
makimono de Ivu Kaï Chili, possédé parle Cabinet
des dessins du British Muséum.
Avec la dynastie des Tang, aux vme et ix8 siè-
cles, les exemples de haut prix sont un peu moins
rares, et avec la dynastie des Song, aux xi8 et
xne siècles, ils deviennent encore plus abon-
dants.
C’est à partir de ce moment qu’on peut tracer la
courbe du grand mouvement d’expansion du
bouddhisme au Japon et des influences si impé-
rieuses que les premières écoles de peinture chi-
noise y exercèrent. Les premières écoles bouddhi-
ques y sont profondément pénétrées de l’esprit des
grands ancêtres chinois ; et toute la belle école des
Kano, du xiv8 au xvn* siècle, ne fit que transposer
en merveilleuses variations les émotions que les
grands maîtres de la dynastie des Song avaient
ressenties devant la nature.
M. Bynion, avec une grande indépendance de
jugement et beaucoup de finesse d’appréciation, a
fait à l’école de 1 Ou Kiyoyé, qui, au commence-
ment du xvii8 siècle, au Japon, s’imposa par la
loyauté de son nationalisme et l’esprit de son ob-
servation, la juste place qu’elle méritait. Le Japon
moderne comprendra-t-il qu’il ne doit plus l’exclure
de ses traditionnelles admirations et qu’il a possédé
en Hokousai un des plus grands génies de l’hu-
manité ?
L’illustration de cet excellent livre démontre
quels avantages nous avons dès maintenant sur
nos aînés. Une bonne part des illustrations —
elles auraient pu être plus abondantes — est em-
pruntée aux deux grands périodiques japonais, The
Kokka et Relies of Japan, parus à Tokio, qui nous
ont révélé les grands trésors d’art conservés au
Japon. M. Bynion a donc pu étayer ses jugements
d’exemples probants et bien choisis. Son iivre est
le premier ouvrage méthodique et précis consacré
à l’étude de la peinture de l’Extrême-Orient, et la
clarté de son esprit, comme la qualité de son intel-
ligence et de son goût, lui ont permis de dominer
constamment le sujet et de n’en jamais perdre les
grandes lignes. Reste maintenant la critique des
monuments, travail infiniment subtil et délicat
qui ne pourra être entrepris qu’en Chine et au
Japon mêmes, devant les monuments et devant les
textes (s’il en existe). Personne, à ma connaissance,
même parmi les nationaux chinois ou japonais, ne
l’a encore entrepris avec des méthodes de rigueur
scientifique satisfaisantes. Tout ce que nous pour-
rons écrire jusque-là aura des bases bien fragiles.
Gaston Migeon. f
LA CHRONIQUE DES ARTS
système des achats, etc., et aussi les réformes dé-
sirables à tous points de vue, notamment en ce qui
concerne la sécurité si souvent et si vainement ré-
clamée pour nos collections.
Les études qui suivent — fruits également d'une
longue et féconde expérience — sur la nature con-
seillère des artistes et sur le dessin chez Léonard
de Vinci, c’est-à-dire chez le maître qui, dans ses
travaux graphiques et ses écrits, a peut-êtie le
plus approfondi les secrets de cette nature, ne se-
ront pas moins profitables à la fois aux critiques
et aux peintres.
Enfin, deux monographies extrêmement atta-
chantes terminent le livre ; l’auteur y évoque de
la façon la plus vivante la physionomie de deux
amateurs éminents : Claude Fabri de Peiresc et
Constantin Huygens, qui, presque en même temps,
l’un en France, l’autre en Hollande, «apparaissent
comme les types accomplis d’une race qui, de plus
en plus, tend à disparaître, celle de ces mécènes
intelligents, ouverts à toutes les nobles aspirations,
prodiguant aux artistes les encouragements les
plus délicats et les plus féconds. »
A. M.
Painting in the Far East, by Laurence Bynion,
Londres, Edward Arnold, 1908. Un vol. in-4°,
287 p. av. 30 planches.
« La peinture en Extrême-Orient » ! Combien
souriront encore à l’idée qu’on ait pu écrire un
livre sur un sujet aussi problématique ! et que ce
livre ait pu être écrit par un fonctionnaire d’un
des plus grands musées du monde, qui vit et tra-
vaille au milieu des trésors du cabinet des dessins
et estampes du British Muséum ! Cela est, cepen-
dant ; et qu’il vous oblige à reconnaître la rigueur
de ses méthodes d’investigation (autant que le sujet
peut à l’heure actuelle en supporter l’application),
— la valeur de ses idées générales, qui n’oublient
jamais de relier les œuvres étudiées à celles qui
sont les plus familières à notre imagination et à
notre intelligence parce qu’elles nous touchent de
plus près, — le charme de son esprit et de son
goût, parce qu’il est un poète dont l’imagination
est riche et la sensibilité délicate, — c’est ce qu’a
bien su réaliser M. Laurence Bynion : grâce à
lui, pour la première fois, on pourra, d’un coup
d’œil d’ensemble qui ne se perdra pas dans des
horizons trop vastes, comprendre la grandeur et
la beauté de l’art chinois et de l’art japonais dans
une de leurs plus hautes manifestations.
Un premier chapitre de philosophie esthétique
délimite bien la portée du sujet et le raccorde par
une suite de comparaisons intéressantes aux grands
idéals de notre humanité occidentale. On ne sau-
rait trop répéter par combien de points de vue il
en diffère, et que le moule où se sont façonnées
certaines idées de l’Extrême-Orient en art est d’un
calibre où ne trouvent pas facilement à pénétrer
les nôtres.
Le chapitre des origines est du plus vif intérêt
et vient au bon moment, aujourd’hui où les fouilles
récentes du Turkestan chinois ont enrichi la science
d’une quantité de monuments qui permettront d’éta-
blir la filiation directe des premières sculptures
bouddhiques de la Chine et du Japon. M. Bynion
n’a eu qu’à regarder autour de lui, dans ce British
Muséum où M. Aurel Stein, le fouilleur de Kho-
tan, a versé toutes les collections qu’il y a recueil-
lies. S’appuyant sur les itinéraires des voyageurs
chinois des premiers siècles de l’ère chrétienne,
il est possible dès maintenant de repérer les che-
mins qu’ont suivis les caravanes qui, de l’Inde,
ont véhiculé tant de formules artistiques dont les
traces se retrouvent dans les premières peintures
de la Chine, d’un idéalisme si pur.
M. Bynion part donc de ces premières écoles
chinoises de peinture, s’appuyant sur le bon dé-
pouillement des annales anciennes opéré par
M. Giles, le savant professeur de l’Université de
New-York, et sur le monument le plus ancien, le
makimono de Ivu Kaï Chili, possédé parle Cabinet
des dessins du British Muséum.
Avec la dynastie des Tang, aux vme et ix8 siè-
cles, les exemples de haut prix sont un peu moins
rares, et avec la dynastie des Song, aux xi8 et
xne siècles, ils deviennent encore plus abon-
dants.
C’est à partir de ce moment qu’on peut tracer la
courbe du grand mouvement d’expansion du
bouddhisme au Japon et des influences si impé-
rieuses que les premières écoles de peinture chi-
noise y exercèrent. Les premières écoles bouddhi-
ques y sont profondément pénétrées de l’esprit des
grands ancêtres chinois ; et toute la belle école des
Kano, du xiv8 au xvn* siècle, ne fit que transposer
en merveilleuses variations les émotions que les
grands maîtres de la dynastie des Song avaient
ressenties devant la nature.
M. Bynion, avec une grande indépendance de
jugement et beaucoup de finesse d’appréciation, a
fait à l’école de 1 Ou Kiyoyé, qui, au commence-
ment du xvii8 siècle, au Japon, s’imposa par la
loyauté de son nationalisme et l’esprit de son ob-
servation, la juste place qu’elle méritait. Le Japon
moderne comprendra-t-il qu’il ne doit plus l’exclure
de ses traditionnelles admirations et qu’il a possédé
en Hokousai un des plus grands génies de l’hu-
manité ?
L’illustration de cet excellent livre démontre
quels avantages nous avons dès maintenant sur
nos aînés. Une bonne part des illustrations —
elles auraient pu être plus abondantes — est em-
pruntée aux deux grands périodiques japonais, The
Kokka et Relies of Japan, parus à Tokio, qui nous
ont révélé les grands trésors d’art conservés au
Japon. M. Bynion a donc pu étayer ses jugements
d’exemples probants et bien choisis. Son iivre est
le premier ouvrage méthodique et précis consacré
à l’étude de la peinture de l’Extrême-Orient, et la
clarté de son esprit, comme la qualité de son intel-
ligence et de son goût, lui ont permis de dominer
constamment le sujet et de n’en jamais perdre les
grandes lignes. Reste maintenant la critique des
monuments, travail infiniment subtil et délicat
qui ne pourra être entrepris qu’en Chine et au
Japon mêmes, devant les monuments et devant les
textes (s’il en existe). Personne, à ma connaissance,
même parmi les nationaux chinois ou japonais, ne
l’a encore entrepris avec des méthodes de rigueur
scientifique satisfaisantes. Tout ce que nous pour-
rons écrire jusque-là aura des bases bien fragiles.
Gaston Migeon. f