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La chronique des arts et de la curiosité — 1909

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Nr. 11 (13 Mars)
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LA CHRONIQUE DES ARTS

Communications diverses. — M. Ebersolt donne
lecture d’une étude qu’il a faite sur la colonne de
Mar ci en et quelques anciennes églises de Constan-
tinople.

M- Massignon lit une note sur le château sassa-
nide d’Al-Okhaydir, découvert par lui à l’ouest de
Kerhila, à cent kilomètres de l’Euphrate. M. Dieu-
jafoy prend la parole à ce sujet et donne quelques
explications complémentaires.

CHRONIQUE MUSICALE

Société internationale de musique.— Exécution

de douze mélodies inédites de Moussorgski (1).

Ces mélodies inédites, récemment découvertes,
offrent un intérêt singulier : œuvres de jeunesse,
ce ne sont nullement des essais, des ébauches,
comme pouvait le faire croire l’avis du biographe
Stassow sur cette période de la vie de Moussorgski.
Il n’a pas à chercher sa voie: il se connaît déjà,
sait ce qu’il veut, et sait le dire. Sereines hardies-
ses, trouvailles de génie, émotion naïve, sensibi-
lité profonde, humaine et enfantine à la fois, il est
là tout entier.

Toutes ces mélodies sont intéressantes, quel-
ques-unes admirables. On y voit déjà cette com-
préhension si vive de l’âme russe populaire,
amour des humbles, pitié pour la misère des
paysans ; on y voit ce sentiment profond de la
nature, — profond et romantique (les deux mots
ne sont pas si opposés qu’on veut bien parfois le
prétendre)—, et c'est une musique de nuit, de froid,
de terreur et de neige ; on y voit, en d’autres piè-
ces, lame mystique et fervente qui se révèle en
Boris Godounoff, âme tendre, passionnée et naïve;
on y découvre, en raccourci, toute sa vie inté-
rieure.

Pour l’écriture musicale, on y voit déjà un es-
prit d’indépendance absolue à l'égard des règles
(juste logique, instinct infaillible : car ces règles,
faites après les chefs-d’œuvre, par des grammai-
riens, sont trop sévères, trop uniformes pour s'a-
dapter à chaque personnalité ; d’où obligation de
savoir s’y soustraire si l’on veut rester soi-mème).
Moussorgski eut souvent des incorrections de gé-
nie qui ouvrirent la porte de domaines musicaux
encore inexplorés ; mais ici (2), il semble que cer-
taines ont dù être corrigées ensuite par de fâcheux
pédants dont les conseils regrettables auraient été
suivis. Les passages ainsi rendus corrects ont
perdu beaucoup de leur force d’expression pre-
mière. Tant il est vrai que l’instinct doit guider,
non le savoir, et que la liberté seule est féconde.

Or, Moussorgski posséda l’instinct le plus sûr,
avec l’imagination, la sensibilité la plus vive, et
la volonté d’être libre. Son œuvre est toute d'inspi-
ration (ce qui ne veut pas dire quelle ait été im-
provisée). Mais elle ne manque nullement de

(1) Manuscrit acquis par M. Ch. Malherbe, bi-
bliothécaire de l'Opéra.

(2) Deux de ces mélodies sont les premières ver-
sions, d’ailleurs assez différentes, d’œuvres éditées
depuis: elles présentent des «incorrections » qui ont
disparu dans la version éditée. Et M. Laloy a pu
judicieusement déduire ce que, d’après lui, j’in-
dique ici.

forme, d’équilibre et de proportions justes. Sans
doute, ce n’est jamais de la musique écrite ingé-
nieusement ou intellectuellement pour le plaisir
des sons ou de la construction. 11 s’agit toujours
de iraduire un sentiment, ou d’évoquer une vision;
de là vient que son expression est si directe. Mous-
sorgski ne s’encombre jamais de combinaisons ;
par des Irouvailles concises et frappantes, il vous
fait ressentir immédiatement sen émotion. Mais,
chez lui, les rapports des harmonies, des tonalités,
des rythmes sont tels, que toute la beauté qu’il a
ressentie (1) se dégage en effet de son œuvre. Il
agit avec liberté, mais point au hasard; son ins-
tinct le guide vers la symétrie et la proportion
harmonieuse. Outre cela, il possède la vraie et la
plus précieuse unité : l’unité du sentiment. Ce
n’est pas un barbare. Les barbares, ce sont plutôt
certains de ses confrères russes, en apparence
plus raffinés, mais qui tapent sur leurs timbales
et leurs tambours, indéfiniment, au petit bonheur ,
de l’improvisation.

Il est certain que l’art des proportions varie
avec chaque artiste, avec chaque idée. Moins de
rigueur dans le plan tonal et thématique, plus
d’imprévu,ne signifient nullement absence décom-
position. Au. contraire, le musicien sait parfois
deviner que cela est nécessaire à l’impression de
spontanéité, à la fraîcheur de l’inspiration. Mous-
sorgski en eut, sans doute, l’instinct. Et, pareille-
ment (bien que tout à fait personnel et inimitable
quant au fond), M. Debussy sait rester et paraî-
tre spontané dans ces scènes de Pelléas où il n’y
a rien d’inutile, rien d’inerte, où la matière musi-
cale semble si heureuse d’être traitée par lui. Et
qu’il est amusant de voir les démentis infligés par
ces œuvres, aux règles des graves personnages !
L'Après-midi d’un faune, sans plan apparent, est
harmonieuse, possède l’unité, le mouvement et la
vie; tandis que, je dois le confesser, je n’ai jamais
compris Y allegro de la 2e symphonie de M. d’Indy
(pourtant fort rigoureux sans doute quant au plan)
et dont les deux thèmes me semblent si dispara-
tes...

Mais si, comme le veut M. d’Indy, toute œuvre
d’art a pour but un enseignement, — quel est
l’enseignement de Moussorgski?

Je dirais volontiers : c’est d’abord: « Fay ce que
vouldras », puis : « Sois toi-même ». Recrée pour
toi le métier, comme Siegfried forgea l’épée. Sans
ignorer les maîtres, ne soyons pas dogmatiques,
car la musique inflige et infligera trop de démen-
tis à nos affirmations étroites. Et enfin : la source
de la musique est dans la vie, le métier n’est qu’un
moyen; et le soi-disant « plaisir intellectuel » de
la musique est si peu de chose, qu’il n’est r:en! La
symétrie des constructions est jusqu'à un certain
point nécessaire; suffisante, jamais; et ce n’est
pas ce qu’on recherche dans la musique. Juger la
forme de la musique avec Y « intellect » est une
étrange aberration. D’ailleurs, comme disait Flau-
bert, comment séparer la forme de l’idée? (2).

Charles Kœchlin.

(1) Ou du moins toute la part de beauté qu’on
peut exprimer avec nos faibles moyens humains.

(2) Il va de soi que l’idée musicale n’est pas une
idée intellectuelle, mais l’impression d'un senti-
ment .
 
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