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En effet, la leçon ordinaire ’Apyeia s’appuie sur sa concordance avec le texte
de Pline1, qui porte : Ager Picenlinus... templo Junonis Argïvae condito a
Jasone insignis. Et cette expression de Juno Argiva a été encore empruntée
à Pline par Solin2. A mes yeux, pour établir la véritable leçon du texte de
Strabon, il faut attacher une importance majeure au témoignage de Pline, qui,
en sa qualité d’amiral de la flotte romaine de Misène, avait une connaissance
toute spéciale des côtes de l’Italie. •
Maintenant, laissez-moi vous signaler un fait qui me paraît décisif pour
établir que la Hêra des environs de Poseidonia était bien une Hêra Argienne,
c’est-à-dire ’Apyha ou ’Apyo/ia. 11 n’est encore signalé nulle part; mais je ne
doute pas que vous n’en eussiez apprécié toute l'importance si vous aviez pu
monter jusqu’à la cathédrale de Gapaccio-Vecchio, la ville fondée par les réfu-
giés de Pæstum après que les Sarrasins les eurent expulsés de leurs anciennes
demeures3. Vous y eussiez remarqué la vieille statue de bois doré qu’on y
vénère de temps immémorial sous le nom de Madonna del granalo, parce
que dans une de ses mains elle tient une pomme de grenade. Il y a dans cet
attribut, que je n’ai jamais vu donné nulle part à la Vierge, une coïncidence
bien remarquable avec celui de la fameuse Hêra d’Argos, dont la statue, due à
Polyclète, décrite par Pausanias4 et figurée sur quelques médailles5, tenait égale-
ment une grenade à la main.
Ne vous semble-t-il pas comme à moi que l’origine de cette « Vierge à la
grenade, » dont le culte a dû être transporté dans le premier Moyen-Age de
Pæstum à Gapaccio, est à chercher dans la « Déesse à la grenade » des anciens,
dans la Junon Argienne? Lors de la conversion de la contrée de Poseidonia-
Pæstum au christianisme, la Vierge Marie aura naturellement supplanté Hêra
dans le sanctuaire des bords du Silaros, ainsi qu’elle l’a fait en tant d’autres
endroits, et comme signe matériel de cette substitution, dans le passage d’un
culte à l’autre, elle aura conservé l’attribut de la grenade, qui caractérisait la
1. ilisl. nal., 111, 5, 10.
2. l'olyhist2.
3. A ce sujet, je .ne puis que renvoyer à votre
propre récit : A travers l'Apnlieet la Lucanie, t. il,
p. 197, 219 et s.
4. il , 17, 4.
5. Ch. Lenorniant, Nouv. gai. mylhol ., pl. \i,
n°14; Overbeck , Griecli. Kunstmylholoyie , t. U,
Miinztafel III, nos 1 et 2.
En effet, la leçon ordinaire ’Apyeia s’appuie sur sa concordance avec le texte
de Pline1, qui porte : Ager Picenlinus... templo Junonis Argïvae condito a
Jasone insignis. Et cette expression de Juno Argiva a été encore empruntée
à Pline par Solin2. A mes yeux, pour établir la véritable leçon du texte de
Strabon, il faut attacher une importance majeure au témoignage de Pline, qui,
en sa qualité d’amiral de la flotte romaine de Misène, avait une connaissance
toute spéciale des côtes de l’Italie. •
Maintenant, laissez-moi vous signaler un fait qui me paraît décisif pour
établir que la Hêra des environs de Poseidonia était bien une Hêra Argienne,
c’est-à-dire ’Apyha ou ’Apyo/ia. 11 n’est encore signalé nulle part; mais je ne
doute pas que vous n’en eussiez apprécié toute l'importance si vous aviez pu
monter jusqu’à la cathédrale de Gapaccio-Vecchio, la ville fondée par les réfu-
giés de Pæstum après que les Sarrasins les eurent expulsés de leurs anciennes
demeures3. Vous y eussiez remarqué la vieille statue de bois doré qu’on y
vénère de temps immémorial sous le nom de Madonna del granalo, parce
que dans une de ses mains elle tient une pomme de grenade. Il y a dans cet
attribut, que je n’ai jamais vu donné nulle part à la Vierge, une coïncidence
bien remarquable avec celui de la fameuse Hêra d’Argos, dont la statue, due à
Polyclète, décrite par Pausanias4 et figurée sur quelques médailles5, tenait égale-
ment une grenade à la main.
Ne vous semble-t-il pas comme à moi que l’origine de cette « Vierge à la
grenade, » dont le culte a dû être transporté dans le premier Moyen-Age de
Pæstum à Gapaccio, est à chercher dans la « Déesse à la grenade » des anciens,
dans la Junon Argienne? Lors de la conversion de la contrée de Poseidonia-
Pæstum au christianisme, la Vierge Marie aura naturellement supplanté Hêra
dans le sanctuaire des bords du Silaros, ainsi qu’elle l’a fait en tant d’autres
endroits, et comme signe matériel de cette substitution, dans le passage d’un
culte à l’autre, elle aura conservé l’attribut de la grenade, qui caractérisait la
1. ilisl. nal., 111, 5, 10.
2. l'olyhist2.
3. A ce sujet, je .ne puis que renvoyer à votre
propre récit : A travers l'Apnlieet la Lucanie, t. il,
p. 197, 219 et s.
4. il , 17, 4.
5. Ch. Lenorniant, Nouv. gai. mylhol ., pl. \i,
n°14; Overbeck , Griecli. Kunstmylholoyie , t. U,
Miinztafel III, nos 1 et 2.