LE SALON DE 1 86Zj.
31
Elle peut donc, elle doit même se poser légèrement sur l’extrémité d’un
pied. Ce mérite rationnel n’est pas le seul que l’on doive louer dans ces
deux statues. Je n’hésite pas à les regarder comme les œuvres les plus
sérieuses du Salon. Simplement et largement drapée d’une étoile flottante
qui laisse deviner sous ses plis un beau corps de femme, la Victoire cou-
ronne le drapeau français par un geste plein de noblesse. Peut-être le
drapeau a-t-il quelque roideur et ne suit-il pas assez le mouvement
général. L’ensemble des lignes n’accuse pas suffisamment le caractère
héroïque. Mais cet ensemble est élégant et harmonieux, et tout, dans
Eœuvre de M. Crauk, révèle un sentiment du beau devenu très-rare.
C’est également par le sentiment de la beauté que se recommande le
Charmeur cle serpents de M. Bourgeois. Aussi savante de modelé, aussi
harmonieuse de lignes que les meilleurs statues de notre temps, celle-ci
a de plus la saveur d’une conception originale. On lui a reproché la mai-
greur des hanches et la sécheresse des membres inférieurs. Mais ce sont
précisément les caractères de race du type exceptionnel choisi par
M. Bourgeois. Le blâme qui voudra d’avoir cherché dans la nature arabe
des exemples de nu que la nature française lui refusait. Pour moi, je
suis convaincu que si la sculpture a quelque chance de se rajeunir,
c’est en étudiant le nu vivant, non pas d’après un modèle d’atelier, mais
là où il se présente encore à l’état de nature. C’est là seulement qu’on
peut surprendre la forme en action et j ustifier le mouvement par la vérité
de l’action. Le Charmeur porte sa justification en lui-même. Le Vain-
queur au combat de coqs} le Faune dansant} la Trouvaille à Pompéi ne
justifient leur mouvement que par un sentiment de joie banale
s’appliquera à toutes les situations possibles, excepté les situations
tristes, et qui peut d’ailleurs se traduire d’une manière moins dansante.
Par conséquent, le mouvement qui en résulte a sa source non dans la
vérité, mais dans la fantaisie.
Fantaisie, j’ai nommé l’écueil. La sculpture peut-elle vivre de fantai-
sie? Evidemment non. S’il est un art étroitement astreint au respect de
la vérité, c’est la sculpture. S’il est un art tout d’une pièce, qui soit grand
art des pieds à la tête, c’est celui dont le marbre et le bronze forment le
sublime langage. Ah ! sans doute, pour descendre au niveau de nos habi-
tudes domestiques, la sculpture se fera lampe et pendule. Mais en dehors
des besoins de l’art industriel, qu’il s’agisse d’un buste, d’une statue,
ou d’un bas-relief, la sculpture doit rester un grand art, grand par l’in-
spiration, grand par l’exécution. C’est dire combien il nous paraît étrange
qu’un jury d’artistes ait décerné une médaille à la Cigale} de M. Cambos.
L’auteur de cette fantaisie possède une certaine habileté d’exécution.
31
Elle peut donc, elle doit même se poser légèrement sur l’extrémité d’un
pied. Ce mérite rationnel n’est pas le seul que l’on doive louer dans ces
deux statues. Je n’hésite pas à les regarder comme les œuvres les plus
sérieuses du Salon. Simplement et largement drapée d’une étoile flottante
qui laisse deviner sous ses plis un beau corps de femme, la Victoire cou-
ronne le drapeau français par un geste plein de noblesse. Peut-être le
drapeau a-t-il quelque roideur et ne suit-il pas assez le mouvement
général. L’ensemble des lignes n’accuse pas suffisamment le caractère
héroïque. Mais cet ensemble est élégant et harmonieux, et tout, dans
Eœuvre de M. Crauk, révèle un sentiment du beau devenu très-rare.
C’est également par le sentiment de la beauté que se recommande le
Charmeur cle serpents de M. Bourgeois. Aussi savante de modelé, aussi
harmonieuse de lignes que les meilleurs statues de notre temps, celle-ci
a de plus la saveur d’une conception originale. On lui a reproché la mai-
greur des hanches et la sécheresse des membres inférieurs. Mais ce sont
précisément les caractères de race du type exceptionnel choisi par
M. Bourgeois. Le blâme qui voudra d’avoir cherché dans la nature arabe
des exemples de nu que la nature française lui refusait. Pour moi, je
suis convaincu que si la sculpture a quelque chance de se rajeunir,
c’est en étudiant le nu vivant, non pas d’après un modèle d’atelier, mais
là où il se présente encore à l’état de nature. C’est là seulement qu’on
peut surprendre la forme en action et j ustifier le mouvement par la vérité
de l’action. Le Charmeur porte sa justification en lui-même. Le Vain-
queur au combat de coqs} le Faune dansant} la Trouvaille à Pompéi ne
justifient leur mouvement que par un sentiment de joie banale
s’appliquera à toutes les situations possibles, excepté les situations
tristes, et qui peut d’ailleurs se traduire d’une manière moins dansante.
Par conséquent, le mouvement qui en résulte a sa source non dans la
vérité, mais dans la fantaisie.
Fantaisie, j’ai nommé l’écueil. La sculpture peut-elle vivre de fantai-
sie? Evidemment non. S’il est un art étroitement astreint au respect de
la vérité, c’est la sculpture. S’il est un art tout d’une pièce, qui soit grand
art des pieds à la tête, c’est celui dont le marbre et le bronze forment le
sublime langage. Ah ! sans doute, pour descendre au niveau de nos habi-
tudes domestiques, la sculpture se fera lampe et pendule. Mais en dehors
des besoins de l’art industriel, qu’il s’agisse d’un buste, d’une statue,
ou d’un bas-relief, la sculpture doit rester un grand art, grand par l’in-
spiration, grand par l’exécution. C’est dire combien il nous paraît étrange
qu’un jury d’artistes ait décerné une médaille à la Cigale} de M. Cambos.
L’auteur de cette fantaisie possède une certaine habileté d’exécution.