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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
et Annibal Carrache, le Passignano, Federigo Zucchero, c’est-à-dire des
maîtres fort compromis dans la manière et qui, sans trop le savoir,
avaient précipité la chute. D’autres étaient plus jeunes, le Guide , par
exemple, et ce dur Caravage dont les noirceurs obscurcissaient l’hori-
zon. Quant à ceux qui allaient marquer dans le xvir siècle, Rubens n’en
soupçonna pas l’existence : le Guerchin, à qui le mélodrame devait être
cher, n’était qu’un enfant inconnu même à Bologne, et quant à Pierre
de Cortone, le peintre des fadeurs prochaines, il n’était pas encore bien
dangereux : il avait quatre ans.
Les noms qu’on vient de lire disent assez que, lorsque Rubens passa
la montagne, l’art italien allait périr; plusieurs de ces maîtres, nés en
plein xvp siècle, se souvenaient cependant du passé et. pouvaient raconter
de glorieuses histoires. Un jour dans le cortile de l’Annunziata de Flo-
rence, Jacopo da Empoli avait échangé quelques paroles avec Lucrezia del
Fede, la veuve d’André del Sarte. Les autres avaient connu Michel-Ange,
Titien, Véronèse et Tintoret, les plus nouveaux parmi ces grands morts.
Les œuvres de ces géants étaient, pour la plupart, dans leur fraîcheur
première : leurs noms respectés se mêlaient à toutes les paroles; un
reste de parfum flottait dans l’air. On devine l’enthousiasme de Rubens
et ses étonnements enchantés.
Et le voyage, en cette saison printanière, était déjà une fête. Quel
chemin prit-il pour aller d’Anvers en Italie, on ne le sait pas. Parmi ceux
qui l’avaient précédé — car cette excursion aux régions italiennes était pour
les Flamands comme un couronnement de l’apprentissage, — beaucoup
avaient traversé la France. Paris était pour eux la première étape : ils
pouvaient y admirer beaucoup de trésors d’art, même des trésors ita-
liens; leurs prédécesseurs leur avaient parlé de Fontainebleau, et enfin
ils trouvaient à Paris, sous le règne de Henri IV, une puissante colonie
flamande, tout un groupe vivant de camarades et d’amis. Il est donc pos-
sible que, pour arriver aux frontières italiennes, Rubens ait passé par la
France. Mais il est juste de dire que l’Allemagne et la Suisse lui offraient
aussi un chemin séduisant. La vérité, c’est que personne ne sait encore
quelle voie il a choisie.
On suppose que la première ville que Rubens ait visitée, c’est Venise.
On n’a pourtant sur ce point aucune certitude, et cette affirmation est le
résultat d’une conjecture. On a, par un besoin naturel de l’esprit, voulu
ménager l’occasion d’une rencontre entre l’artiste, encore inconnu, et le
prince qui allait devenir son protecteur. On imagine que Rubens devait
être à Venise le 15 juillet 1600, c’est-à-dire le jour où, dans son appareil
de fête, la ville ayant pavoisé ses gondoles, alla au devant de Vincent Ier
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
et Annibal Carrache, le Passignano, Federigo Zucchero, c’est-à-dire des
maîtres fort compromis dans la manière et qui, sans trop le savoir,
avaient précipité la chute. D’autres étaient plus jeunes, le Guide , par
exemple, et ce dur Caravage dont les noirceurs obscurcissaient l’hori-
zon. Quant à ceux qui allaient marquer dans le xvir siècle, Rubens n’en
soupçonna pas l’existence : le Guerchin, à qui le mélodrame devait être
cher, n’était qu’un enfant inconnu même à Bologne, et quant à Pierre
de Cortone, le peintre des fadeurs prochaines, il n’était pas encore bien
dangereux : il avait quatre ans.
Les noms qu’on vient de lire disent assez que, lorsque Rubens passa
la montagne, l’art italien allait périr; plusieurs de ces maîtres, nés en
plein xvp siècle, se souvenaient cependant du passé et. pouvaient raconter
de glorieuses histoires. Un jour dans le cortile de l’Annunziata de Flo-
rence, Jacopo da Empoli avait échangé quelques paroles avec Lucrezia del
Fede, la veuve d’André del Sarte. Les autres avaient connu Michel-Ange,
Titien, Véronèse et Tintoret, les plus nouveaux parmi ces grands morts.
Les œuvres de ces géants étaient, pour la plupart, dans leur fraîcheur
première : leurs noms respectés se mêlaient à toutes les paroles; un
reste de parfum flottait dans l’air. On devine l’enthousiasme de Rubens
et ses étonnements enchantés.
Et le voyage, en cette saison printanière, était déjà une fête. Quel
chemin prit-il pour aller d’Anvers en Italie, on ne le sait pas. Parmi ceux
qui l’avaient précédé — car cette excursion aux régions italiennes était pour
les Flamands comme un couronnement de l’apprentissage, — beaucoup
avaient traversé la France. Paris était pour eux la première étape : ils
pouvaient y admirer beaucoup de trésors d’art, même des trésors ita-
liens; leurs prédécesseurs leur avaient parlé de Fontainebleau, et enfin
ils trouvaient à Paris, sous le règne de Henri IV, une puissante colonie
flamande, tout un groupe vivant de camarades et d’amis. Il est donc pos-
sible que, pour arriver aux frontières italiennes, Rubens ait passé par la
France. Mais il est juste de dire que l’Allemagne et la Suisse lui offraient
aussi un chemin séduisant. La vérité, c’est que personne ne sait encore
quelle voie il a choisie.
On suppose que la première ville que Rubens ait visitée, c’est Venise.
On n’a pourtant sur ce point aucune certitude, et cette affirmation est le
résultat d’une conjecture. On a, par un besoin naturel de l’esprit, voulu
ménager l’occasion d’une rencontre entre l’artiste, encore inconnu, et le
prince qui allait devenir son protecteur. On imagine que Rubens devait
être à Venise le 15 juillet 1600, c’est-à-dire le jour où, dans son appareil
de fête, la ville ayant pavoisé ses gondoles, alla au devant de Vincent Ier