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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
Elle est traitée avec toute la grâce et le charme accoutumé du maître,
sans la moindre pointe de cette fine ironie que le philosophe de Madaure
a délicatement jetée dans son récit. Au contraire, ce côté doucement
moqueur de la légende n’a point échappé au « parisianisme » de M. Bau-
dry, qui a même modifié sensiblement la description d’Apulée pour la
plier à sa fantaisie railleuse. En examinant d’un peu près sa composition,
en y cherchant, avec quelque subtilité peut-être, les intentions à demi
voilées et les sous-entendus mystérieux, on peut croire que l’auteur,
accommodant l’humeur caustique d’Apulée au scepticisme actuel, a voulu
peindre l’amour dans le mariage sous quatre aspects différents, pris,
pour ainsi dire, aux quatre points cardinaux :
1° L’amour vrai : Psyché et Cupidon s’abandonnant à toutes les
délices de la passion dans un voluptueux embrassement, pendant qu’un
petit Amour regarde malicieusement le couple imparadised inone others
amis.
2° L’amour troublé par les infidélités du mari et la jalousie motivée
de la femme : Jupiter et Junon, l’un cherchant à oublier dans la coupe
que lui tend le trop beau Ganymède les invectives de son épouse irritée;
l’autre tournant irrévérencieusement le dos à son maître et seigneur,
boudeuse, repassant en elle-même les nombreuses trahisons de son volage
époux, densos amores.
3° Le ménage de raison, ennuyeux et monotone : Pluton endormi
dans une invincible lassitude près de Proserpine triste et mécontente.
4° Le ménage à trois : Vénus entre son mari et son amant, mépri-
sant l’un et déjà dégoûtée de l’autre, admirablement belle dans son auda-
cieuse nudité. Mars buvant parce qu’il est las d’aimer, et Vulcain, le plus
heureux des trois, leur servant à manger (cœnam coquebat, dit Apulée),
avec une satisfaction résignée.
Ce ton de moquerie quelque peu sacrilège n’enlève rien à la gran-
deur et à l’harmonie de la conception. Les quatre groupes, reliés entre
eux pat des accessoires heureusement agencés, sont disposés avec une
gracieuse fantaisie sur le banc circulaire en marbre blanc qui entoure
la table olympienne dont on ne voit que le rebord. Jupiter, une jambe
posée sur un globe bleu foncé semé de constellations, tenant le sceptre; à
ses pieds l’aigle éployé et Ganymède, vu à mi-corps, de formes ravis-
santes, versant l’ambroisie d’une minuscule amphore dans la coupe
cl’or du maître des dieux; Junon avec son paon, songeuse et mélanco-
lique, tout enveloppée dans des draperies d’un jaune trop justifié, régu-
lièrement belle, aux cheveux roux, un peu petite, plutôt distinguée que
majestueuse, plutôt femme que déesse. Mars serré dans un justau-
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
Elle est traitée avec toute la grâce et le charme accoutumé du maître,
sans la moindre pointe de cette fine ironie que le philosophe de Madaure
a délicatement jetée dans son récit. Au contraire, ce côté doucement
moqueur de la légende n’a point échappé au « parisianisme » de M. Bau-
dry, qui a même modifié sensiblement la description d’Apulée pour la
plier à sa fantaisie railleuse. En examinant d’un peu près sa composition,
en y cherchant, avec quelque subtilité peut-être, les intentions à demi
voilées et les sous-entendus mystérieux, on peut croire que l’auteur,
accommodant l’humeur caustique d’Apulée au scepticisme actuel, a voulu
peindre l’amour dans le mariage sous quatre aspects différents, pris,
pour ainsi dire, aux quatre points cardinaux :
1° L’amour vrai : Psyché et Cupidon s’abandonnant à toutes les
délices de la passion dans un voluptueux embrassement, pendant qu’un
petit Amour regarde malicieusement le couple imparadised inone others
amis.
2° L’amour troublé par les infidélités du mari et la jalousie motivée
de la femme : Jupiter et Junon, l’un cherchant à oublier dans la coupe
que lui tend le trop beau Ganymède les invectives de son épouse irritée;
l’autre tournant irrévérencieusement le dos à son maître et seigneur,
boudeuse, repassant en elle-même les nombreuses trahisons de son volage
époux, densos amores.
3° Le ménage de raison, ennuyeux et monotone : Pluton endormi
dans une invincible lassitude près de Proserpine triste et mécontente.
4° Le ménage à trois : Vénus entre son mari et son amant, mépri-
sant l’un et déjà dégoûtée de l’autre, admirablement belle dans son auda-
cieuse nudité. Mars buvant parce qu’il est las d’aimer, et Vulcain, le plus
heureux des trois, leur servant à manger (cœnam coquebat, dit Apulée),
avec une satisfaction résignée.
Ce ton de moquerie quelque peu sacrilège n’enlève rien à la gran-
deur et à l’harmonie de la conception. Les quatre groupes, reliés entre
eux pat des accessoires heureusement agencés, sont disposés avec une
gracieuse fantaisie sur le banc circulaire en marbre blanc qui entoure
la table olympienne dont on ne voit que le rebord. Jupiter, une jambe
posée sur un globe bleu foncé semé de constellations, tenant le sceptre; à
ses pieds l’aigle éployé et Ganymède, vu à mi-corps, de formes ravis-
santes, versant l’ambroisie d’une minuscule amphore dans la coupe
cl’or du maître des dieux; Junon avec son paon, songeuse et mélanco-
lique, tout enveloppée dans des draperies d’un jaune trop justifié, régu-
lièrement belle, aux cheveux roux, un peu petite, plutôt distinguée que
majestueuse, plutôt femme que déesse. Mars serré dans un justau-