GAZETTE DES BEAUX-ARTS
ë
pas eu alors huit cents souscripteurs, pourrait aujourd’hui en avoir
facilement dix mille », hauteur jette un coup d’œil sur les éléments
multiples d’où était sorti le public qu’il visait, sur les causes du ren-
chérissement des objets d’art, sur le succès des expositions univer-
selles ou spéciales de Londres, de Paris, de Manchester, sur la
diffusion des questions de critique d’art par la presse parisienne, sur
les fouilles naguère ignorées, depuis pratiquées partout, dans les
archives ou les bibliothèques, et, tout en reconnaissant que l’Aca-
démie d’Anvers avait la première donné l’exemple « des catalogues
substantiels, bien conçus, riches
renseignements que réclame
désormais la légitime exigence des
amateurs», il revendique hautement
la part de ses compatriotes de cette
féconde émulation.
« La France [disait-ilj a toujours
été le pays de la critique par excel-
lence : clarté, justesse, mesure, finesse
d’observation, sentiment exquis des
convenances, nous avons toutes les
qualités qui constituent le critique, el
il n’est pas jusqu’à nos défauts qui
ne nous servent dans ce rôle. Ce qui
nous manque, en effet, du côté de la
poésie, de l’imagination, nous l’avons
surabondamment du côté de l’esprit, et la vieille ironie gauloise, si elle est
souvent hostile à l’enthousiasme, est au moins une arme toute prête contre
les égarements du goût, il est donc surprenant que l’on affecte aujourd’hui
de contester à la France l’incontestable supériorité de sa critique, comme
si la nation qui a vu à l’œuvre tant de tins connaisseurs, les maréchaux
de la curiosité, ainsi que les appelait le duc de Choiseul, les Marolles, les de
Piles, les Gersaint, les Mariette, les Basan, les Régnault Delalande, pou-
vait avoir perdu tout à coup cette rare sagacité de jugement qui est le fruit
le plus indigène de son génie. Oui, la littérature française est aujourd’hui
en mesure d’exercer la critique avec plus d’éclat que jamais, puisqu’elle
est à la fois lestée de science et en possession de tous tes genres de style.
La science? elle se manifeste plus que jamais dans les diverses ramifica-
tions des arts et du dessin. Le style? en aucun temps on ne lui fît accom-
plir plus d’évolutions et de tours de force. Ici, c’est un des rose-croix de la
franc-maçonnerie littéraire qui fait du dictionnaire une palette, écrit en
ronde-bosse, et, pétrissant les mots comme de l’argile, prête au langage
étonné la réalité plastique des choses 1 ; là, au contraire, c’est, un grave aca-
CliehéJNadar
PORTRAIT O E CHARLES BLANC
t. Théophile Gautier.
ë
pas eu alors huit cents souscripteurs, pourrait aujourd’hui en avoir
facilement dix mille », hauteur jette un coup d’œil sur les éléments
multiples d’où était sorti le public qu’il visait, sur les causes du ren-
chérissement des objets d’art, sur le succès des expositions univer-
selles ou spéciales de Londres, de Paris, de Manchester, sur la
diffusion des questions de critique d’art par la presse parisienne, sur
les fouilles naguère ignorées, depuis pratiquées partout, dans les
archives ou les bibliothèques, et, tout en reconnaissant que l’Aca-
démie d’Anvers avait la première donné l’exemple « des catalogues
substantiels, bien conçus, riches
renseignements que réclame
désormais la légitime exigence des
amateurs», il revendique hautement
la part de ses compatriotes de cette
féconde émulation.
« La France [disait-ilj a toujours
été le pays de la critique par excel-
lence : clarté, justesse, mesure, finesse
d’observation, sentiment exquis des
convenances, nous avons toutes les
qualités qui constituent le critique, el
il n’est pas jusqu’à nos défauts qui
ne nous servent dans ce rôle. Ce qui
nous manque, en effet, du côté de la
poésie, de l’imagination, nous l’avons
surabondamment du côté de l’esprit, et la vieille ironie gauloise, si elle est
souvent hostile à l’enthousiasme, est au moins une arme toute prête contre
les égarements du goût, il est donc surprenant que l’on affecte aujourd’hui
de contester à la France l’incontestable supériorité de sa critique, comme
si la nation qui a vu à l’œuvre tant de tins connaisseurs, les maréchaux
de la curiosité, ainsi que les appelait le duc de Choiseul, les Marolles, les de
Piles, les Gersaint, les Mariette, les Basan, les Régnault Delalande, pou-
vait avoir perdu tout à coup cette rare sagacité de jugement qui est le fruit
le plus indigène de son génie. Oui, la littérature française est aujourd’hui
en mesure d’exercer la critique avec plus d’éclat que jamais, puisqu’elle
est à la fois lestée de science et en possession de tous tes genres de style.
La science? elle se manifeste plus que jamais dans les diverses ramifica-
tions des arts et du dessin. Le style? en aucun temps on ne lui fît accom-
plir plus d’évolutions et de tours de force. Ici, c’est un des rose-croix de la
franc-maçonnerie littéraire qui fait du dictionnaire une palette, écrit en
ronde-bosse, et, pétrissant les mots comme de l’argile, prête au langage
étonné la réalité plastique des choses 1 ; là, au contraire, c’est, un grave aca-
CliehéJNadar
PORTRAIT O E CHARLES BLANC
t. Théophile Gautier.