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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
Ces traits juvéniles ont rapidement changé. Ducreux les dessine
à treize ans et demi, Duplessis les peint à dix-sept, et ils ne sont
déjà plus les mêmes; des duretés y apparaissent, que l’àge ne fera
qu’accentuer, et qu’adouciront seules la fraîcheur éblouissante du
teint et l’aimable vivacité des regards. Le second portrait que nous
avons à présenter n’est qu’une modeste esquisse, mais d’un singulier
caractère de vérité. Le peintre a brossé hardiment sur sa toile, en
quelques heures peut-être, la tête de la jeune dauphine, à la veille
de devenir reine1. Il est possible qu’elle ne lui ait pas accordé une
longue pose; mais, habitué par son métier à saisir avec promptitude
les éléments essentiels d’une physionomie, expert d’ailleurs, comme
l'on sait, dans les ressemblances, Duplessis a eu assez de temps pour
lixer une inoubliable image. Les yeux gros et ronds, le front bombé,
la lèvre autrichienne, son pinceau sincère a tout dit; les lignes très
longues du cou, le blond poudré des cheveux, le bleu caressant des
regards sont indiqués également, et on voit quels éléments de beauté
pourront être développés par la suite, quand il sera rentré dans son
atelier, après la séance de Versailles.
Nous savons, en effet, à quel tableau devait servir cette préparation
si instructive. Le portrait définitif existe à Paris, chezMmcla marquise
de Ganay, née Ridgway; c’est un buste charmant, avec le cou et les
épaules nues, en corsage de brocart. Un a dit, avec raison, que « la
peinture est d’une qualité extraordinaire »,etque « ce gracieux visage
de blonde, au teint frais et naturellement coloré, est la vie même...
La ressemblance cependant laisse quelque peu à désirer; il est
visible que l’artiste a cherché à dissimuler les défauts naturels...2 »
La toile ne porte pas de signature, mais il ne peut y avoir de doute
sur l’auteur, surtout depuis que Flammermont a pris soin de relever
l'inscription d’une très belle tapisserie ovale qui reproduit ce portrait.
On y lit, avec le pirixit de Duplessis, Yexuitàw tapissier Audran, et la
date de 1771, qui est celle du travail exécuté aux Gobelins. Le rival
d’Audran à la Manufacture, Cozette, a parlé avec un injuste dédain
1, On pense à cette séance en lisant, dans la lettre que Marie-Antoinette écrit
à Marie-Thérèse, le 13 août 1773 : « On me peint actuellement ; il est bien vrai
que les peintres n’ont pas encore attrapé ma ressemblance; je donnerais de bon
cœur tout mon bien à celui qui pourrait exprimer dans mon portrait la joie que
j’aurais à revoir ma chère maman. » Mais la date de l’étude de Duplessis reste
incertaine. L'artiste avait travaillé avec Marie-Antoinette, en 1771 ou 1772, en
vue d’un portrait à cheval, qui n’était pas fait en 1774 (État des ouvrages de l'Aca-
démie, Archives Nat., O 1 1933).
.2. Flammermont (Gazette des Beaux-Arts, 1897, t. II, p. 296).
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
Ces traits juvéniles ont rapidement changé. Ducreux les dessine
à treize ans et demi, Duplessis les peint à dix-sept, et ils ne sont
déjà plus les mêmes; des duretés y apparaissent, que l’àge ne fera
qu’accentuer, et qu’adouciront seules la fraîcheur éblouissante du
teint et l’aimable vivacité des regards. Le second portrait que nous
avons à présenter n’est qu’une modeste esquisse, mais d’un singulier
caractère de vérité. Le peintre a brossé hardiment sur sa toile, en
quelques heures peut-être, la tête de la jeune dauphine, à la veille
de devenir reine1. Il est possible qu’elle ne lui ait pas accordé une
longue pose; mais, habitué par son métier à saisir avec promptitude
les éléments essentiels d’une physionomie, expert d’ailleurs, comme
l'on sait, dans les ressemblances, Duplessis a eu assez de temps pour
lixer une inoubliable image. Les yeux gros et ronds, le front bombé,
la lèvre autrichienne, son pinceau sincère a tout dit; les lignes très
longues du cou, le blond poudré des cheveux, le bleu caressant des
regards sont indiqués également, et on voit quels éléments de beauté
pourront être développés par la suite, quand il sera rentré dans son
atelier, après la séance de Versailles.
Nous savons, en effet, à quel tableau devait servir cette préparation
si instructive. Le portrait définitif existe à Paris, chezMmcla marquise
de Ganay, née Ridgway; c’est un buste charmant, avec le cou et les
épaules nues, en corsage de brocart. Un a dit, avec raison, que « la
peinture est d’une qualité extraordinaire »,etque « ce gracieux visage
de blonde, au teint frais et naturellement coloré, est la vie même...
La ressemblance cependant laisse quelque peu à désirer; il est
visible que l’artiste a cherché à dissimuler les défauts naturels...2 »
La toile ne porte pas de signature, mais il ne peut y avoir de doute
sur l’auteur, surtout depuis que Flammermont a pris soin de relever
l'inscription d’une très belle tapisserie ovale qui reproduit ce portrait.
On y lit, avec le pirixit de Duplessis, Yexuitàw tapissier Audran, et la
date de 1771, qui est celle du travail exécuté aux Gobelins. Le rival
d’Audran à la Manufacture, Cozette, a parlé avec un injuste dédain
1, On pense à cette séance en lisant, dans la lettre que Marie-Antoinette écrit
à Marie-Thérèse, le 13 août 1773 : « On me peint actuellement ; il est bien vrai
que les peintres n’ont pas encore attrapé ma ressemblance; je donnerais de bon
cœur tout mon bien à celui qui pourrait exprimer dans mon portrait la joie que
j’aurais à revoir ma chère maman. » Mais la date de l’étude de Duplessis reste
incertaine. L'artiste avait travaillé avec Marie-Antoinette, en 1771 ou 1772, en
vue d’un portrait à cheval, qui n’était pas fait en 1774 (État des ouvrages de l'Aca-
démie, Archives Nat., O 1 1933).
.2. Flammermont (Gazette des Beaux-Arts, 1897, t. II, p. 296).