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L' art: revue hebdomadaire illustrée — 10.1884 (Teil 1)

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Champfleury: La comédie posthume de Diderot au Théatre-Français
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https://doi.org/10.11588/diglit.19701#0033

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22

L'ART.

Il y a déjà plus d'un siècle que fut représenté cet admirable drame1; il est resté jeune, sans
une ride, projetant une discrète lumière sur un délicat et idéal profil de jeune fille qu'on ne
trouve ni dans le théâtre français, ni dans le théâtre espagnol, ni dans le théâtre italien, ni
dans le théâtre allemand. On peut crier à l'hérésie. Shakspeare ni Molière n'ont créé une aussi
aimable figure. Un chroniqueur de l'époque rapporte que, le soir de la première représentation
du Philosophe sans le savoir, Diderot courut chez Sedaine et le fit lever pour l'embrasser. Qu'il
avait raison, l'encyclopédiste, avec sa fougue d'épanchements, de presser sur son cœur le père
de la tendre Victorine !

Après Sedaine, d'autres auteurs dramatiques, Beaumarchais, Mercier, suivirent la voie qu'avait
tracée Diderot, et si la Mère coupable, conséquence directe du système dramatique du Père de
famille, est peu jouée aujourd'hui, ne faut-il pas en attribuer la faute aux personnages amoureux
du Barbier de Séville et du Mariage de Figaro que le public a dotés d'une jeunesse éternelle
et qu'il ne veut pas voir vieillis, tristes, portant à la boutonnière un bouquet de soucis?

Avec sa hardiesse d'esprit, son sensualisme parfois cynique, sa bonne humeur exaltée, Diderot
ne légua pas au théâtre une véritable comédie. Cependant la découverte en Allemagne de
manuscrits du philosophe prouva qu'il s'était arrêté sur une idée comique; il l'avait gardée
longuement en lui, il y était revenu à diverses reprises, et, chose rare pour un écrivain de
premier jet le plus souvent, Diderot s'était recueilli 2.

Il faut prendre garde toutefois à l'abus des exhumations intellectuelles, quelque légitime que
soit le culte pour les grands écrivains.

En agitant de nouveau la question de la Comédie posthume de Diderot, je me demandai
plus d'une fois si la mémoire du philosophe gagnerait à être engagée clans une tentative où
les lisières dramatiques garrottent toute œuvre qui n'a pas pour elle la tradition de nombreuses
représentations; aussi, me défiant de mon propre entraînement, je repris le dossier et fis une
enquête à nouveau.

Le premier qui s'occupa de la comédie Est-il bon? est-il méchant? fut l'éditeur des Œuvres
posthumes de Diderot, M. Taschereau. L'homme n'était pas aventureux de sa nature, mais le
sens du théâtre, il l'avait développé en étudiant Molière clans sa vie privée, clans sa vie de
coulisses, en le prenant pour thème d'un livre qu'on peut lire encore avec fruit aujourd'hui3,
malgré tant de travaux, de recherches, de commentaires modernes sur la vie et l'œuvre du grand
poète comique.

Dans un avis des éditeurs des Mémoires, Correspondance et ouvrages inédits de Diderot,
publiés d'après les manuscrits confiés en mourant par l'auteur à Grimm (Paris, Paulin, 1834,
2e édition), il est dit pourquoi la comédie Est-il bon? est-il méchant? n'avait pas été comprise
dans l'édition précédente ( 1833) : l'éditeur pensait que cette comédie « devait avant tout paraître
sur la scène à laquelle Diderot la destinait évidemment ».

L'éditeur ajoutait : « La Comédie-Française, à laquelle nous avions communiqué le manuscrit,
l'ayant par ses retards jugée moins digne de la représentation qu'une vingtaine d'actes de ses
faiseurs, nous n'avons pas cru devoir exposer plus longtemps Diderot aux dédains des interprètes-
admirateurs des chefs-d'œuvre de MM. Mazères et Empis. »

L'Académie, le Théâtre-Français, l'Opéra, le Conservatoire ont une armure qui les protège
contre de telles récriminations; aucun membre de chacun de ces groupes divers n'est atteint
personnellement; aussi, quel que soit le bon vouloir des minorités, toujours l'emporte une majorité
ennemie de toute tentative, opposée aux œuvres nouvelles comme aux esprits indépendants et
qui, s'enveloppant dans le pavillon délabré des « saines doctrines » ou du « goût », ne tient
nul compte des aspirations non plus que de l'enthousiasme des rares esprits en avant.

La comédie imprimée par M. Taschereau, le silence se fit de nouveau sur l'œuvre posthume
de Diderot. Un calme absolu enveloppa l'affaire de 1834 à 1855.

1. Le Philosophe sans le savoir date de 1765.

2. La Pièce et le Prologue, ou celui qui les sert tous et qui n'en contente aucun, sorte de proverbe en un acte, fut d'abord un premier
canevas sur lequel le philosophe broda les spirituels détails de Est-il bon? est-il méchant ?

3. Taschereau. Histoire de la vie et des ouvrages de Molière. Paris, 182D. '
 
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