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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
et immédiatement après le bandeau qui porte la signature, un second
bandeau plus large est décoré d’appliques en faible relief : trois biges
conduites par des Victoires et entre lesquelles sont des groupes de com-
battants. La face principale de la panse, celle qui est opposée à l’anse, est
envahie tout entière par des personnages et des animaux en relief un
peu plus fort, rehaussés de peintures et de dorures : c’est toute une
scène de chasse empruntée à la légende locale des Arimaspes, qui avait
été popularisée en Grèce par le poème fabuleux d’Aristéas de Proconnèse.
On sait que ce peuple imaginaire passait pour habiter les contrées hyper-
boréennes, bien loin au delà des Scythes; il était, disait-on, en lutte per-
pétuelle avec les griffons, les animaux sacrés d’Apollon hyperboréen,
gardiens jaloux de l’or des monts Riphées, c’est-à-dire de la chaîne de
l’Oural. Les artistes avaient de bonne heure fait leur profit de ces tradi-
tions lointaines et accommodé à la décoration de toutes sortes d’objets
les groupes élégants formés par les griffons et les Arimaspes : mais ici il
est impossible de ne pas voir dans ces scènes quelque chose de plus
qu’un motif banal d’ornementation : l’allusion au pays pour lequel le vase
était fait se laisse aisément apercevoir. Les Arimaspes du potier athénien
sont, d’ailleurs, des combattants tout à fait civilisés ; ils ont le visage
noble et l’élégant costume des Perses, les cheveux ondulés, la longue
barbe frisée, le bonnet dit Phrygien, la tunique ample et souple, les
anayrides ou pantalons de fine étoffe, le manteau flottant. Les uns sont
armés de haches de guerre, les autres de courtes piques, un est à che-
val, un autre monté sur un char à deux chevaux, attelé à la grecque.
Leurs noms, écrits à côté d’eux, sont perses pour la plupart, et l’on
retrouve dans le nombre ceux de quelques-uns des personnages qui
ont joué un rôle dans les troubles de l’Asie Mineure, entre la mort
d’Artaxerce II Mnémon ( 389 ) et la conquête d’Alexandre : Dareios et
Kyros sont des noms de princes ; Atramis, Abrocomas, Seisamès, des noms
de satrapes. Il est difficile de croire que cette coïncidence soit l’effet du
hasard : la date de la fabrication du vase ne peut être de beaucoup posté-
rieure aux faits et aux personnages dont Xénophantos évoque ainsi le
souvenir. Les ennemis contre lesquels combattent nos Arimaspes, des
griffons et des chimères ailées, sont aussi mondains qu’eux : on sent, on
sent même trop qu’ils n’ignorent pas la belle courbure de leur souple
échine et l’élégance de leurs mouvements. A ces êtres mythiques, le désir
de la variété a fait mêler des sangliers et un animal dont un éclat a malheu-
reusement emporté la tête, mais qui, d’après la forme de son corps, son
allure un peu raide et les longs poils qui pendent sous son cou, doit être
un élan, sinon même un renne.
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
et immédiatement après le bandeau qui porte la signature, un second
bandeau plus large est décoré d’appliques en faible relief : trois biges
conduites par des Victoires et entre lesquelles sont des groupes de com-
battants. La face principale de la panse, celle qui est opposée à l’anse, est
envahie tout entière par des personnages et des animaux en relief un
peu plus fort, rehaussés de peintures et de dorures : c’est toute une
scène de chasse empruntée à la légende locale des Arimaspes, qui avait
été popularisée en Grèce par le poème fabuleux d’Aristéas de Proconnèse.
On sait que ce peuple imaginaire passait pour habiter les contrées hyper-
boréennes, bien loin au delà des Scythes; il était, disait-on, en lutte per-
pétuelle avec les griffons, les animaux sacrés d’Apollon hyperboréen,
gardiens jaloux de l’or des monts Riphées, c’est-à-dire de la chaîne de
l’Oural. Les artistes avaient de bonne heure fait leur profit de ces tradi-
tions lointaines et accommodé à la décoration de toutes sortes d’objets
les groupes élégants formés par les griffons et les Arimaspes : mais ici il
est impossible de ne pas voir dans ces scènes quelque chose de plus
qu’un motif banal d’ornementation : l’allusion au pays pour lequel le vase
était fait se laisse aisément apercevoir. Les Arimaspes du potier athénien
sont, d’ailleurs, des combattants tout à fait civilisés ; ils ont le visage
noble et l’élégant costume des Perses, les cheveux ondulés, la longue
barbe frisée, le bonnet dit Phrygien, la tunique ample et souple, les
anayrides ou pantalons de fine étoffe, le manteau flottant. Les uns sont
armés de haches de guerre, les autres de courtes piques, un est à che-
val, un autre monté sur un char à deux chevaux, attelé à la grecque.
Leurs noms, écrits à côté d’eux, sont perses pour la plupart, et l’on
retrouve dans le nombre ceux de quelques-uns des personnages qui
ont joué un rôle dans les troubles de l’Asie Mineure, entre la mort
d’Artaxerce II Mnémon ( 389 ) et la conquête d’Alexandre : Dareios et
Kyros sont des noms de princes ; Atramis, Abrocomas, Seisamès, des noms
de satrapes. Il est difficile de croire que cette coïncidence soit l’effet du
hasard : la date de la fabrication du vase ne peut être de beaucoup posté-
rieure aux faits et aux personnages dont Xénophantos évoque ainsi le
souvenir. Les ennemis contre lesquels combattent nos Arimaspes, des
griffons et des chimères ailées, sont aussi mondains qu’eux : on sent, on
sent même trop qu’ils n’ignorent pas la belle courbure de leur souple
échine et l’élégance de leurs mouvements. A ces êtres mythiques, le désir
de la variété a fait mêler des sangliers et un animal dont un éclat a malheu-
reusement emporté la tête, mais qui, d’après la forme de son corps, son
allure un peu raide et les longs poils qui pendent sous son cou, doit être
un élan, sinon même un renne.