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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
prairie au bord d’une rivière, et un très beau paysage, deux moulins se
profilant sur un ciel clair en larges silhouettes d’un ton tout rembrand-
tesque; un quai de ville, un clocher et un moulin, dans un fond lumi-
neux qui semble une toile d’araignée frangée.
La décadence, encore charmante dans les animaux et les fleurs de
Fyt, de Weenix et de Van Huysum, déjà trop accentuée dans Romeyn,
Does, Bega et Drost, est complète chez Jan Both, Breenbergh, Jacob
van der Lift, Thomas Wyck, qui vont chercher en Italie des motifs de
paysage héroïque, si peu en rapport avec leur nature hollandaise. Comme
il est heureux que les vrais maîtres n’aient pas eu de ces fantaisies
transalpines!
Parmi les Flamands, M. Ilis de la Salle avait fait décemment la part
la plus large à Bubens dont il avait pu réunir sept dessins de premier
choix : Atalcinte et Méléagre, Elude d’enfant, Portrait de jeune
femme, au sourire fin et malicieux, Tête de petite fille, les trois der-
niers dignes en tout point de Rubens, d’une facture pleine de vie et de
fougue, qui excelle à rendre ces chairs délicates, fraîches et blondes, ro-
sées par le sang pur de la jeune femme ou de l’enfant ; puis trois copies
d’après les Italiens dont une d’après le Pordenone, et quelle copie! De
celle-là on peut vraiment dire qu’elle vaut un original.
On y retrouve Pordenone et on y reconnaît Rubens, il n’y a point
du reste de bonnes copies sans ce mariage intime de l’auteur et de l’inter-
prète. L’imitation exacte, mécanique, la reproduction absolument fidèle
des lignes et des couleurs, le fac-similé n’existent point : quoi que fasse
le copiste pour étouffer sa personnalité et revêtir celle du maître origi-
nal, l’artiste donne toujours, si impersonnel qu’il veuille être, son propre
caractère à l’œuvre reproduite; de là des infidélités forcées, une substi-
tution involontaire du copiant au copié, et des transpositions inévitables.
Et qu’arrive-t-il ? Quand le traducteur parle une langue éloquente, son
interprétation est toujours intéressante; quand il n’a à son service qu’un
idiome défectueux ou insuffisant, il défigure le modèle sans le remplacer
par une équivalente acceptable. La reproduction n’a de valeur que lorsque
l’interprète est supérieur en son art ; chacun copie comme il peint,
avec son sentiment, son esprit et sa main, avec sa manière de voir et sa
nature individuelle. Si cette nature est personnelle et puissante, la copie
vaudra l’original, non pas par l’exactitude, mais par une sorte de com-
pensation qui s’établira entre ce que l’auteur aura perdu et ce que le
traducteur lui aura donné; si le copiste est un peintre médiocre, n’atten-
dons pas de lui une bonne copie : il rabaissera son modèle à son propre
niveau.
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
prairie au bord d’une rivière, et un très beau paysage, deux moulins se
profilant sur un ciel clair en larges silhouettes d’un ton tout rembrand-
tesque; un quai de ville, un clocher et un moulin, dans un fond lumi-
neux qui semble une toile d’araignée frangée.
La décadence, encore charmante dans les animaux et les fleurs de
Fyt, de Weenix et de Van Huysum, déjà trop accentuée dans Romeyn,
Does, Bega et Drost, est complète chez Jan Both, Breenbergh, Jacob
van der Lift, Thomas Wyck, qui vont chercher en Italie des motifs de
paysage héroïque, si peu en rapport avec leur nature hollandaise. Comme
il est heureux que les vrais maîtres n’aient pas eu de ces fantaisies
transalpines!
Parmi les Flamands, M. Ilis de la Salle avait fait décemment la part
la plus large à Bubens dont il avait pu réunir sept dessins de premier
choix : Atalcinte et Méléagre, Elude d’enfant, Portrait de jeune
femme, au sourire fin et malicieux, Tête de petite fille, les trois der-
niers dignes en tout point de Rubens, d’une facture pleine de vie et de
fougue, qui excelle à rendre ces chairs délicates, fraîches et blondes, ro-
sées par le sang pur de la jeune femme ou de l’enfant ; puis trois copies
d’après les Italiens dont une d’après le Pordenone, et quelle copie! De
celle-là on peut vraiment dire qu’elle vaut un original.
On y retrouve Pordenone et on y reconnaît Rubens, il n’y a point
du reste de bonnes copies sans ce mariage intime de l’auteur et de l’inter-
prète. L’imitation exacte, mécanique, la reproduction absolument fidèle
des lignes et des couleurs, le fac-similé n’existent point : quoi que fasse
le copiste pour étouffer sa personnalité et revêtir celle du maître origi-
nal, l’artiste donne toujours, si impersonnel qu’il veuille être, son propre
caractère à l’œuvre reproduite; de là des infidélités forcées, une substi-
tution involontaire du copiant au copié, et des transpositions inévitables.
Et qu’arrive-t-il ? Quand le traducteur parle une langue éloquente, son
interprétation est toujours intéressante; quand il n’a à son service qu’un
idiome défectueux ou insuffisant, il défigure le modèle sans le remplacer
par une équivalente acceptable. La reproduction n’a de valeur que lorsque
l’interprète est supérieur en son art ; chacun copie comme il peint,
avec son sentiment, son esprit et sa main, avec sa manière de voir et sa
nature individuelle. Si cette nature est personnelle et puissante, la copie
vaudra l’original, non pas par l’exactitude, mais par une sorte de com-
pensation qui s’établira entre ce que l’auteur aura perdu et ce que le
traducteur lui aura donné; si le copiste est un peintre médiocre, n’atten-
dons pas de lui une bonne copie : il rabaissera son modèle à son propre
niveau.