34 L'ART.
en passant à Ravenne, l'impression profonde que produisent ses édifices sacrés '. Peu de villes
en effet se prêtent mieux à une évocation vivante et complète du passé. Les monuments les plus
considérables y ramènent tous l'esprit vers un même art et vers une même époque ; aucun
intérêt étranger n'y vient troubler cette calme et paisible contemplation : le silence des rues
désertes, le grand air de tristesse et d'abandon répandu sur toutes choses, la solitude recueillie
des grandes basiliques, invitent à s'oublier librement dans les souvenirs du passé. Lorsque,
dans San Apollinare Nuovo, le regard surpris s'arrête sur cette longue procession de saintes aux
costumes éclatants, lorsque, dans Saint-Vital, il contemple ces curieuses mosaïques où apparaissent,
dans l'éclat de la pompe impériale, Justinien et Théodora, lorsqu'il se porte sur ces saints
guerriers revêtus des insignes des hauts dignitaires de l'empire, il croit presque voir, au bout
d'un instant, s'animer ces calmes et immobiles figures, et l'esprit se replace naturellement dans
le milieu où sont éclos ces admirables monuments. Galla Placidia, Théodoric, Justinien, ne sont
plus ici des noms vides de sens ou d'intérêt ; à chaque pas on rencontre leur souvenir, on touche
du doigt leurs œuvres ou leurs images; devant ce commentaire sensible des récits historiques, les
Le Trône de Neptune.
Bas-relief antique conservé à Saint-Vital. — Dessin de M"* Marie Weber.
paroles des vieux chroniqueurs, les sèches mentions des annales s'animent d'une vie nouvelle;
on se reporte sans effort à ces temps reculés, et de cette sorte de vision historique naît une
vue plus nette et une intelligence plus claire des monuments.
Pour comprendre Ravenne il ne suffit point de la décrire telle qu'elle est aujourd'hui, il faut
la reconstituer telle quelle était à l'époque byzantine, avec sa multitude d'églises et de palais; il
faut remettre les édifices au milieu des hommes qui les ont vu construire, et, s'il se peut, entrer
dans l'esprit de ces hommes, les voir agir et penser. Les Mirabilia urbis Romœ, ces guides des
pèlerins du moyen âge dans la Ville éternelle, en nous promenant parmi les édifices, en nous
contant les naïves légendes qui s'attachent aux monuments, nous offrent une image singulièrement
vivante et curieuse de la Rome des premiers siècles : c'est un tableau du même genre qu'il nous
faut tracer pour Ravenne. Pour visiter la cité byzantine, nous aussi nous suivrons un guide du
moyen âge, nous lui demanderons de nous décrire les principaux monuments, de nous conter les
belles légendes qu'il sait sur chacun d'eux, de nous parler des grands noms qui y sont attachés ;
et quand, sous la conduite de ce cicérone parfois naïf, toujours intéressant, nous aurons bien
compris ce qu'était Ravenne au vn e ou au vin e siècle, nous examinerons à notre tour, à un
point de vue plus scientifique, ce qui subsiste encore de la ville byzantine, l'architecture de ses
i. Epistolœ, pages 420, 421, édition Mehus. Cf. Mûntz, les Précurseurs de la Renaissance, page 113.
en passant à Ravenne, l'impression profonde que produisent ses édifices sacrés '. Peu de villes
en effet se prêtent mieux à une évocation vivante et complète du passé. Les monuments les plus
considérables y ramènent tous l'esprit vers un même art et vers une même époque ; aucun
intérêt étranger n'y vient troubler cette calme et paisible contemplation : le silence des rues
désertes, le grand air de tristesse et d'abandon répandu sur toutes choses, la solitude recueillie
des grandes basiliques, invitent à s'oublier librement dans les souvenirs du passé. Lorsque,
dans San Apollinare Nuovo, le regard surpris s'arrête sur cette longue procession de saintes aux
costumes éclatants, lorsque, dans Saint-Vital, il contemple ces curieuses mosaïques où apparaissent,
dans l'éclat de la pompe impériale, Justinien et Théodora, lorsqu'il se porte sur ces saints
guerriers revêtus des insignes des hauts dignitaires de l'empire, il croit presque voir, au bout
d'un instant, s'animer ces calmes et immobiles figures, et l'esprit se replace naturellement dans
le milieu où sont éclos ces admirables monuments. Galla Placidia, Théodoric, Justinien, ne sont
plus ici des noms vides de sens ou d'intérêt ; à chaque pas on rencontre leur souvenir, on touche
du doigt leurs œuvres ou leurs images; devant ce commentaire sensible des récits historiques, les
Le Trône de Neptune.
Bas-relief antique conservé à Saint-Vital. — Dessin de M"* Marie Weber.
paroles des vieux chroniqueurs, les sèches mentions des annales s'animent d'une vie nouvelle;
on se reporte sans effort à ces temps reculés, et de cette sorte de vision historique naît une
vue plus nette et une intelligence plus claire des monuments.
Pour comprendre Ravenne il ne suffit point de la décrire telle qu'elle est aujourd'hui, il faut
la reconstituer telle quelle était à l'époque byzantine, avec sa multitude d'églises et de palais; il
faut remettre les édifices au milieu des hommes qui les ont vu construire, et, s'il se peut, entrer
dans l'esprit de ces hommes, les voir agir et penser. Les Mirabilia urbis Romœ, ces guides des
pèlerins du moyen âge dans la Ville éternelle, en nous promenant parmi les édifices, en nous
contant les naïves légendes qui s'attachent aux monuments, nous offrent une image singulièrement
vivante et curieuse de la Rome des premiers siècles : c'est un tableau du même genre qu'il nous
faut tracer pour Ravenne. Pour visiter la cité byzantine, nous aussi nous suivrons un guide du
moyen âge, nous lui demanderons de nous décrire les principaux monuments, de nous conter les
belles légendes qu'il sait sur chacun d'eux, de nous parler des grands noms qui y sont attachés ;
et quand, sous la conduite de ce cicérone parfois naïf, toujours intéressant, nous aurons bien
compris ce qu'était Ravenne au vn e ou au vin e siècle, nous examinerons à notre tour, à un
point de vue plus scientifique, ce qui subsiste encore de la ville byzantine, l'architecture de ses
i. Epistolœ, pages 420, 421, édition Mehus. Cf. Mûntz, les Précurseurs de la Renaissance, page 113.