-- Numéro 20. *———
Tout ce qui concerne la rédaction doit être adressé, franco,
à M. A. Audibert, Rédacteur en chef de la Caricature,
boulevard Poissonnière, n. 2 5.
——» 1 7 mars 1851. «—
Les réclamations et envois d’argent doivent être adressés,
franco, au grand Magasin de Caricatures d’Aubert ,
galerie Véro-Dodat.
3m®mr
POLITIQUE , MORALE , RELIGIEUSE , LITTERAIRE ET SCENIQUE.
Caricature#.
m wrawiMrvsr»
C’est un vilain ctre, un être bien désagréable qu’un importun.
Depuis que je suis au monde, je me demande chaque jour, avant
dejeûner, dans quel but utile le divin créateur de toutes choses a pu
créer les serpens à sonnettes, les punaises et les importuns.
L’importunité n’est souvent que le résultat des circonstances im-
prévues par les esnrîis Ip« rdua comme il faut. Ainsi, telle chose ou
a 1' .
tel individu charmaithier et déplaît aujourd’hui. Cependant, ni l’une
ni l’autre n’eut cessé d’être charmans ; les dispositions appréciantes
ont seules changé à leur égard.
N’attaquons donc point l’importun accidentel : tout haïssable qu’il
soit, chacun l’a été, l’est ou le sera. C’est tout simple : il faudrait ne
rien vouloir, ne rien faire et de tout s’abstenir pour n’être jamais cou-
pable de ce crime de lèze-société. — L’amant trompé est importun
pour sa maîtresse, le solliciteur l’est pour le ministre, le créancier
pour son débiteur, le malheureux pour le philanthrope, Jean-Peuple
pour les gens qu’il a obligés.
Mais il est une classe d’importuns-nés, en fonctions permanentes ,
plantés à travers le monde comme bâton à travers roue, qu’il est du
devoir de la civilisation de ne point épargner.
L’importun est matériel comme chair humaine en lingot. Il ques-
tionne peu, parle beaucoup , articule la sentence, exploite l’emphase
et scande chaque phrase par un geste à effet. L’importun a un habit
noir, un jabot et des breloques, quelquefois des lunettes, toujours
des souliers et un parapluie. Prendre une prise à certains passages
d’un discours est pour lui une combinaison oratoire.
— Il arrive ordinairement pendant qu’on met le couvert, de façon
à dîner avec vous, ou au moins à vous empêcher de dîner.
Rien d’importun, pour un importun, comme la concurrence d’un
autre importun.
Comment tolérer froidement de pareilles contrefaçons de l’homme
civilisé! Impossible cependant de faire une Sainte-Barthélemy d’im-
portuns. Guerre donc à ces parias de la conversation. Que la gaîté la
plus vagabonde déroute leurs symétriques discours et qu’au moins
leurs travers prétentieux, tournant au profit de la commune joie, ré-
créent la société qu’ils consternent.
Il y a quelques jours, j’arrive dans une maison habituellement
très-gaie, ornée de quatre jeunes personnes très-rieuses — en ce
quelles ont de belles dents—et à qui je procure le plaisir de les faire
voir souvent, parce que je suis assez jovial de nature. A mon grand
étonnement, le silence le plus parfait régnait dans le salon. Muettes,
mes quatre petites amours brodaient tranquillement dans un coin,
tandis que la mère soutenait seule à grand’ peine la conversation avec
un de ces êtres intitulés importuns.
Ma préférence ne fut pas incertaine un moment; après les salu’.s
d’usage, je fus m’asseoir auprès des charmantes poulettes aux belles
dents, tandis nue le.morisieur reprit gravement le discours qu’il dis-
«Vint mon arrivée.
— Qu’est-il donc survenu de sinistre aujourd’hui, demandai-je à
basse voix? Pourquoi cet air anéanti? Serait-il arrivé quelque mal-
heur? M. Fox serait-il malade?
— Oh! non, Dieu Merci, me répondit en souriant Claire aux
blonds cheveux, non ; mais ne voyez-vous pas M. Bagnard qui cause
avec ma mère ; voilà deux heures qu’il pérore ; il nous avait presque
endormies et je crois qu’il en arrive autant à maman.
— N’est-ce que cela, mes chers petits cœurs; mais nous allons y
mettre bon ordre. “Voulez-vous que nous le renvoyons le plus honnê-
tement du monde ?
Et aussitôt quatre petits oui, bien aigus, bien gentils, m’attaquant
les oreilles, me prouvent que je ferai là quelque chose de fort mé-
ritoire.
Alors nous nous rapprochons insensiblement, et je prends part à la
conversation pour soulager celte pauvre maman Derbal, sur qui en
effet le soporifisme commençait à opérer. Notre importun, rejetant sur
une ondée du mois capricieux où nous sommes l’indiscrétion qui le
faisait se trouver là à l’heure du dîner, racontait comment « les tor-
» rens d’une pluie battante frappant les vitreaux de ses appartemens
» l’avaient obligé à différer jusque-là la présentation de ses devoirs
» respectueux. »
Depuis deux heures déjà qu’il parlait, le corps droit, le nez en l’air, te-
nant son chapeau d’une main et son jabot de l’autre, il n’avait pas encore
changé de position , lorsque , se tournant toujours vers Mme Derbal,
il leva enfin une jambe pour vouloir bien la croiser sur l’autre. A ce
mouvement, je dis tout bas à mes compagnes silencieuses : « Levez-
vous donc, mesdemoiselles, M. Rignard qui s’en va, » et déjà j’avais
Tout ce qui concerne la rédaction doit être adressé, franco,
à M. A. Audibert, Rédacteur en chef de la Caricature,
boulevard Poissonnière, n. 2 5.
——» 1 7 mars 1851. «—
Les réclamations et envois d’argent doivent être adressés,
franco, au grand Magasin de Caricatures d’Aubert ,
galerie Véro-Dodat.
3m®mr
POLITIQUE , MORALE , RELIGIEUSE , LITTERAIRE ET SCENIQUE.
Caricature#.
m wrawiMrvsr»
C’est un vilain ctre, un être bien désagréable qu’un importun.
Depuis que je suis au monde, je me demande chaque jour, avant
dejeûner, dans quel but utile le divin créateur de toutes choses a pu
créer les serpens à sonnettes, les punaises et les importuns.
L’importunité n’est souvent que le résultat des circonstances im-
prévues par les esnrîis Ip« rdua comme il faut. Ainsi, telle chose ou
a 1' .
tel individu charmaithier et déplaît aujourd’hui. Cependant, ni l’une
ni l’autre n’eut cessé d’être charmans ; les dispositions appréciantes
ont seules changé à leur égard.
N’attaquons donc point l’importun accidentel : tout haïssable qu’il
soit, chacun l’a été, l’est ou le sera. C’est tout simple : il faudrait ne
rien vouloir, ne rien faire et de tout s’abstenir pour n’être jamais cou-
pable de ce crime de lèze-société. — L’amant trompé est importun
pour sa maîtresse, le solliciteur l’est pour le ministre, le créancier
pour son débiteur, le malheureux pour le philanthrope, Jean-Peuple
pour les gens qu’il a obligés.
Mais il est une classe d’importuns-nés, en fonctions permanentes ,
plantés à travers le monde comme bâton à travers roue, qu’il est du
devoir de la civilisation de ne point épargner.
L’importun est matériel comme chair humaine en lingot. Il ques-
tionne peu, parle beaucoup , articule la sentence, exploite l’emphase
et scande chaque phrase par un geste à effet. L’importun a un habit
noir, un jabot et des breloques, quelquefois des lunettes, toujours
des souliers et un parapluie. Prendre une prise à certains passages
d’un discours est pour lui une combinaison oratoire.
— Il arrive ordinairement pendant qu’on met le couvert, de façon
à dîner avec vous, ou au moins à vous empêcher de dîner.
Rien d’importun, pour un importun, comme la concurrence d’un
autre importun.
Comment tolérer froidement de pareilles contrefaçons de l’homme
civilisé! Impossible cependant de faire une Sainte-Barthélemy d’im-
portuns. Guerre donc à ces parias de la conversation. Que la gaîté la
plus vagabonde déroute leurs symétriques discours et qu’au moins
leurs travers prétentieux, tournant au profit de la commune joie, ré-
créent la société qu’ils consternent.
Il y a quelques jours, j’arrive dans une maison habituellement
très-gaie, ornée de quatre jeunes personnes très-rieuses — en ce
quelles ont de belles dents—et à qui je procure le plaisir de les faire
voir souvent, parce que je suis assez jovial de nature. A mon grand
étonnement, le silence le plus parfait régnait dans le salon. Muettes,
mes quatre petites amours brodaient tranquillement dans un coin,
tandis que la mère soutenait seule à grand’ peine la conversation avec
un de ces êtres intitulés importuns.
Ma préférence ne fut pas incertaine un moment; après les salu’.s
d’usage, je fus m’asseoir auprès des charmantes poulettes aux belles
dents, tandis nue le.morisieur reprit gravement le discours qu’il dis-
«Vint mon arrivée.
— Qu’est-il donc survenu de sinistre aujourd’hui, demandai-je à
basse voix? Pourquoi cet air anéanti? Serait-il arrivé quelque mal-
heur? M. Fox serait-il malade?
— Oh! non, Dieu Merci, me répondit en souriant Claire aux
blonds cheveux, non ; mais ne voyez-vous pas M. Bagnard qui cause
avec ma mère ; voilà deux heures qu’il pérore ; il nous avait presque
endormies et je crois qu’il en arrive autant à maman.
— N’est-ce que cela, mes chers petits cœurs; mais nous allons y
mettre bon ordre. “Voulez-vous que nous le renvoyons le plus honnê-
tement du monde ?
Et aussitôt quatre petits oui, bien aigus, bien gentils, m’attaquant
les oreilles, me prouvent que je ferai là quelque chose de fort mé-
ritoire.
Alors nous nous rapprochons insensiblement, et je prends part à la
conversation pour soulager celte pauvre maman Derbal, sur qui en
effet le soporifisme commençait à opérer. Notre importun, rejetant sur
une ondée du mois capricieux où nous sommes l’indiscrétion qui le
faisait se trouver là à l’heure du dîner, racontait comment « les tor-
» rens d’une pluie battante frappant les vitreaux de ses appartemens
» l’avaient obligé à différer jusque-là la présentation de ses devoirs
» respectueux. »
Depuis deux heures déjà qu’il parlait, le corps droit, le nez en l’air, te-
nant son chapeau d’une main et son jabot de l’autre, il n’avait pas encore
changé de position , lorsque , se tournant toujours vers Mme Derbal,
il leva enfin une jambe pour vouloir bien la croiser sur l’autre. A ce
mouvement, je dis tout bas à mes compagnes silencieuses : « Levez-
vous donc, mesdemoiselles, M. Rignard qui s’en va, » et déjà j’avais