Numéro .')0
Tout ce qui concerne la rédaction doit être adressé, franco,
à M. A. Audibert, Rédacteur en chef de la Caricature,
rue Bergère , n. ig.
CA9TIGAT RIDENDO MORES.
— 45 octobre 4854.
m&m
Les réclamations, abonnemens et envois d’argent doivent
être adressés, franco, au grand Magasin de Caricatures
d’AunEUT, galerie Véro-Dodat.
MORALE, RELIGIEUSE, LITTERAIRE ET SCENIQUE,
■^sszummasas
Caricatures.
DO SUIF
DANS SES H APPORTS AVEC L’ORDRE LÉGAL ET LA PROSPÉRITÉ
DE LA FRANCE.
Le Seigneur dit un jour :
Fiat lux , et lux fuit ;
Que la chandelle soit, et la chandelle fut.
( Traduction de la Genèse :
Par M. G, Anneron, épicier.)
NOUVELLE PROPOSITION MOTIVÉE ,
ADRESSÉE AU SIEUR CURT1US ,
Propriétaire de suif, et l’un des hommes les plus puissans du royaume ;
Par le sieur G. Anneron , fabricant de chandelles par caractère, et orateur
par circonstance.
Vous le savez, puissant homme, dans mon civisme bicéphale, je
mène de front la bougie et l’éloquence, l’amour du suif et celui de la
paix ; je pousse la modération jusqu’au fanatisme, et j’idolâtre tout ce
qui est graisse et cire. Voilà pourquoi je vous idolâtre.
Quand il s’agit de jeter quelque clarté dans une discussion , je m’é-
lance ; mon génie s’allume, et, lampion ministériel, j’inonde l’audi-
toire d’éblouissantes paroles.
Mais si je suis renommé pour mes illuminations parlementaires, je
ne le suis pas moins pour mon éclairage domestique. Personne, j’ose
le croire , ne tourne une bougie avec plus de grâce et de délicatesse.
J’ai poussé la chandelle jusqu’à ses dernières limites -, j’ai reculé les
bornes du pot à feu.
Il n’est sorte d’objets que ma main savante ne puisse imiter avec du
suif. Donnez-moi du suif, puissant homme, et je vous rends votre
buste, un bouquet de roses, une boîte de dragées, un édifice public,
une statue , n’importe quoi. On se rappelle encore d’avoir vu de moi,
à l’exposition de sculpture, un Apollon du Belvédère , modelé tout en
suif. Ce morceau a été fort goûté par les amateurs du vrai beau. Le
seul défaut qu’on eût à lui reprocher, c’était d’avoir les formes un peu
trop grasses ; mais ce défaut était inévitable en pareille matière.
On conçoit donc que, jouissant dans le monde d’une position bril-
lante , je ne quitterais pas la chaudière pour la tribune, sans une
circonstance impérieuse. Mes discours sont lumineux sans doute , car
tout ce qui sort de mes mains ne peut qu’être infiniment lumineux ;
mais, si lumineux qu’ils soient, ils ne sauraient l’être au même degré
que mes chandelles. (Non , je ne suis pas homme à me laisser éblouir
par de fausses lueurs de réputation; et, je l’avoue, faute d’appren-
tissage , je ne manie pa9 encore la parole avec autant d’habileté que
la graisse de mouton. Tous les journaux de l’opposition ne cessent de
me dire : «Anneron, mon ami, faites des chandelles, faites des
« chandelles! »
Cela est bien facile à dire : « Faites des chandelles ! » Mais, pour
faire des chandelles, il faut du suif. Or, le suif manque; il y a disette
de corps gras ; et voilà pourquoi, n’ayant rien de mieux à faire , je
m’étais mis à faire de l’éloquence.
Jusqu’à présent, c’est la Russie qui, pour la plus grande part, nous
a alimentés de suif. C’est de là, comme d’un immense réservoir de
graisse, que le suif a Coulé à pleins bords sur l’occident de l’Europe.
Et pourtant !.et pourtant, c’est cette même Russie que, dans son
aveuglement de taupe, l’opposition accuse de vouloir nous replonger
dans les ténèbres ! Ah! c’est bien de Nicolas que l’on peut dire avec
Lefranc de Pompignan :
‘ Le Czar, du fond de ses chaudières,
Versait des torrens de lumières
Sur ses obscurs blasphémateurs.
Je dis versait, car, par malheur, le Czar ne verse plus rien ; plus
rien que le sang des Polonais, ce qui , n’entrant pas dans le com-
merce , et n’étant pas coté à la Bourse, est trop peu de chose pour
nous occuper.
Or, c’est le cholera-morbus qui est cause de cette espèce de famine
de graisse. On craint qu’il ne s’introduise chez nous à la faveur du
Tout ce qui concerne la rédaction doit être adressé, franco,
à M. A. Audibert, Rédacteur en chef de la Caricature,
rue Bergère , n. ig.
CA9TIGAT RIDENDO MORES.
— 45 octobre 4854.
m&m
Les réclamations, abonnemens et envois d’argent doivent
être adressés, franco, au grand Magasin de Caricatures
d’AunEUT, galerie Véro-Dodat.
MORALE, RELIGIEUSE, LITTERAIRE ET SCENIQUE,
■^sszummasas
Caricatures.
DO SUIF
DANS SES H APPORTS AVEC L’ORDRE LÉGAL ET LA PROSPÉRITÉ
DE LA FRANCE.
Le Seigneur dit un jour :
Fiat lux , et lux fuit ;
Que la chandelle soit, et la chandelle fut.
( Traduction de la Genèse :
Par M. G, Anneron, épicier.)
NOUVELLE PROPOSITION MOTIVÉE ,
ADRESSÉE AU SIEUR CURT1US ,
Propriétaire de suif, et l’un des hommes les plus puissans du royaume ;
Par le sieur G. Anneron , fabricant de chandelles par caractère, et orateur
par circonstance.
Vous le savez, puissant homme, dans mon civisme bicéphale, je
mène de front la bougie et l’éloquence, l’amour du suif et celui de la
paix ; je pousse la modération jusqu’au fanatisme, et j’idolâtre tout ce
qui est graisse et cire. Voilà pourquoi je vous idolâtre.
Quand il s’agit de jeter quelque clarté dans une discussion , je m’é-
lance ; mon génie s’allume, et, lampion ministériel, j’inonde l’audi-
toire d’éblouissantes paroles.
Mais si je suis renommé pour mes illuminations parlementaires, je
ne le suis pas moins pour mon éclairage domestique. Personne, j’ose
le croire , ne tourne une bougie avec plus de grâce et de délicatesse.
J’ai poussé la chandelle jusqu’à ses dernières limites -, j’ai reculé les
bornes du pot à feu.
Il n’est sorte d’objets que ma main savante ne puisse imiter avec du
suif. Donnez-moi du suif, puissant homme, et je vous rends votre
buste, un bouquet de roses, une boîte de dragées, un édifice public,
une statue , n’importe quoi. On se rappelle encore d’avoir vu de moi,
à l’exposition de sculpture, un Apollon du Belvédère , modelé tout en
suif. Ce morceau a été fort goûté par les amateurs du vrai beau. Le
seul défaut qu’on eût à lui reprocher, c’était d’avoir les formes un peu
trop grasses ; mais ce défaut était inévitable en pareille matière.
On conçoit donc que, jouissant dans le monde d’une position bril-
lante , je ne quitterais pas la chaudière pour la tribune, sans une
circonstance impérieuse. Mes discours sont lumineux sans doute , car
tout ce qui sort de mes mains ne peut qu’être infiniment lumineux ;
mais, si lumineux qu’ils soient, ils ne sauraient l’être au même degré
que mes chandelles. (Non , je ne suis pas homme à me laisser éblouir
par de fausses lueurs de réputation; et, je l’avoue, faute d’appren-
tissage , je ne manie pa9 encore la parole avec autant d’habileté que
la graisse de mouton. Tous les journaux de l’opposition ne cessent de
me dire : «Anneron, mon ami, faites des chandelles, faites des
« chandelles! »
Cela est bien facile à dire : « Faites des chandelles ! » Mais, pour
faire des chandelles, il faut du suif. Or, le suif manque; il y a disette
de corps gras ; et voilà pourquoi, n’ayant rien de mieux à faire , je
m’étais mis à faire de l’éloquence.
Jusqu’à présent, c’est la Russie qui, pour la plus grande part, nous
a alimentés de suif. C’est de là, comme d’un immense réservoir de
graisse, que le suif a Coulé à pleins bords sur l’occident de l’Europe.
Et pourtant !.et pourtant, c’est cette même Russie que, dans son
aveuglement de taupe, l’opposition accuse de vouloir nous replonger
dans les ténèbres ! Ah! c’est bien de Nicolas que l’on peut dire avec
Lefranc de Pompignan :
‘ Le Czar, du fond de ses chaudières,
Versait des torrens de lumières
Sur ses obscurs blasphémateurs.
Je dis versait, car, par malheur, le Czar ne verse plus rien ; plus
rien que le sang des Polonais, ce qui , n’entrant pas dans le com-
merce , et n’étant pas coté à la Bourse, est trop peu de chose pour
nous occuper.
Or, c’est le cholera-morbus qui est cause de cette espèce de famine
de graisse. On craint qu’il ne s’introduise chez nous à la faveur du