» Numéro 28.»
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Tout ce qui concerne la rédaction doit être adressé, franco,
à M. A. Audtbert, Rédacteur en cliei' de la Caricature,
rue Bergère , n. 19.
12 mai 1851.
Les réclamations et envois d’argent doivent être adressés,
franco, au grand Magasin de Caricatures d’AcmniT,
galerie Véro-Dodat.
CA ST 1 G A T lUDENnO MORES,’
MORALE, RELIGIEUSE, LITTERAIRE ET SCENIQUE.
Caricatures.
TABLEAU D’UN INTERIEUR DE FAMILLE.
Oh! heureux! quarante-sept fois heureux, l’homme complété clans
son existence imparfaite par cette précieuse moitié de son individu,
vulgairement appelée madame son épouse!—'Pour lui, le bonheur
est une habitude, une nature intégrante dont il peut User à discrétion,
comme moi d’un petit pain chez mon restaurateur.
Car, moi, je suis célibataire, et par conséquent réduit à chercher
le bonheur dans une omnibus, dans une loge de la Gaîté, ou à la Petite
Provence ; obligé pour le tout d’être pénétré de reconnaissance envers
un mari complaisant, un amant décharmé, ou un frère borgne,
comme de voir la moindre espérance de félicité soumise au pouvoir
d’une averse, d’une rencontre, ou toute autre fantaisie du destin!
Voilà donc, me disais-je, le sort du célibataire, tandis que l’époux,
bicéphale privilégié, n’a pas besoin, lui, de faire des expériences
de bonheur à domicile-, car ce bonheur, il le trouve continuellement
sous sa main ; sans cesse il est à ses côtés : s’il sort , il le met sous son
bras; s’il pleut, il le garantit de son parapluie! A tout heure il peut
lui faire un appel et en user indistinctement à la lumière du soleil,
de la lune ou de la bougie. C’est ravissant! Il n’y a qu’une invasion
de cosaques qui puisse détruire une félicité pareille, et encore la
garde nationale est-elle là.
Et moi, célibataire, je me désolais à la lueur de ces tristes ré-
flexions et d’un soleil de midi 35 minutes, quand le tout fut subite-
ment interrompu par une de ces caresses délicieuses qui vous coupent
la respiration.
C’était une amitié de Collège que j’avais pour le moment suspendue
au cou. ''
— Eh! quoi, s’écria Derville en reprenant terre , est-ce bien toi,
Eugène, que je revois après dix ans de séparation?
— Moi-même, répliquai-je en remettant ma cravate.
— Et qu’es-tu, que dis-tu, que penses-tu, qui vois-tu, que fais-tu,
depuis si long-temps?
— Je suis, je dis, je pense, je vois, je fais, comme j’étais, je di-
sais, je pensais, je voyais et je faisais, lorsque le sort vint à nous
séparer.
—-Ali! esprit stationnait-e et inébranlable, je te reconnais bien là!
Dix ans de monotonie dans dix années d’existence! Ce n’est pas vivre.
Eh bien, moi, mon cher, j’ai fait une petite fortune, un bon mariage
et des enfans charmans.
— Oh ! heureux ami, tu es époux ! et tu as des marmots !
•—■ Dis donc des Amours. — Tiens, Eugène, pour prolonger le plai-
sir de cette première rencontre, accepte le dîner de l’amitié; je vais
te présenter à ma femme, tu verras mes enfans et tu jouiras du tableau
de mon bonheur.
•— J’accepte avec reconnaissance. —- Ta femme est-elle jolie?
—• Adorable.
— Et jamais, jusqu’ici tu n’as... elle n’a... vous n’eûtes...
— Dieu! si un homme osait regarder mon Albertine! je lui passe-
rais tout un arsenal au travers du corps!
—- Sois tranquille, Derville, j’aurai toujours les yeux fixés sur mon
assiette.
— Eh! tu penses bien que je ne dis pas ça pour les anciens cama-
rades comme toi.
— Oh! époux magnanime et ami généreux !
Déjà nous commencions à entamer le quatrième étage d’un escalier
assez étroit, lorsque je fus frappé d’un bruit très-confus, mais fort
glapissant. J’allais m’informer de la cause d’un effet aussi incommode,
quand mon ami me dit d’un air triomphant : — Entends-tu mes pe-
tis gaillards, quel vacarme ils font là-haut? Cest toute la journée
comme cela.
Dès-lors, je trouvai fort gracieuse celte expression d’une joie en-
fantine.
— Ohé! ohé! v’ià papa ! cria, en ouvrant la porte, un gros joufflu
de cinq à six ans, qui entra au salon la tête entre les jambes de son
père, après quoi il faillit me jeter à la renverse, en me gratifiant de
la même gentillesse pendant que je présentais mes salutations respec-
tueuses à madame Derville.
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Tout ce qui concerne la rédaction doit être adressé, franco,
à M. A. Audtbert, Rédacteur en cliei' de la Caricature,
rue Bergère , n. 19.
12 mai 1851.
Les réclamations et envois d’argent doivent être adressés,
franco, au grand Magasin de Caricatures d’AcmniT,
galerie Véro-Dodat.
CA ST 1 G A T lUDENnO MORES,’
MORALE, RELIGIEUSE, LITTERAIRE ET SCENIQUE.
Caricatures.
TABLEAU D’UN INTERIEUR DE FAMILLE.
Oh! heureux! quarante-sept fois heureux, l’homme complété clans
son existence imparfaite par cette précieuse moitié de son individu,
vulgairement appelée madame son épouse!—'Pour lui, le bonheur
est une habitude, une nature intégrante dont il peut User à discrétion,
comme moi d’un petit pain chez mon restaurateur.
Car, moi, je suis célibataire, et par conséquent réduit à chercher
le bonheur dans une omnibus, dans une loge de la Gaîté, ou à la Petite
Provence ; obligé pour le tout d’être pénétré de reconnaissance envers
un mari complaisant, un amant décharmé, ou un frère borgne,
comme de voir la moindre espérance de félicité soumise au pouvoir
d’une averse, d’une rencontre, ou toute autre fantaisie du destin!
Voilà donc, me disais-je, le sort du célibataire, tandis que l’époux,
bicéphale privilégié, n’a pas besoin, lui, de faire des expériences
de bonheur à domicile-, car ce bonheur, il le trouve continuellement
sous sa main ; sans cesse il est à ses côtés : s’il sort , il le met sous son
bras; s’il pleut, il le garantit de son parapluie! A tout heure il peut
lui faire un appel et en user indistinctement à la lumière du soleil,
de la lune ou de la bougie. C’est ravissant! Il n’y a qu’une invasion
de cosaques qui puisse détruire une félicité pareille, et encore la
garde nationale est-elle là.
Et moi, célibataire, je me désolais à la lueur de ces tristes ré-
flexions et d’un soleil de midi 35 minutes, quand le tout fut subite-
ment interrompu par une de ces caresses délicieuses qui vous coupent
la respiration.
C’était une amitié de Collège que j’avais pour le moment suspendue
au cou. ''
— Eh! quoi, s’écria Derville en reprenant terre , est-ce bien toi,
Eugène, que je revois après dix ans de séparation?
— Moi-même, répliquai-je en remettant ma cravate.
— Et qu’es-tu, que dis-tu, que penses-tu, qui vois-tu, que fais-tu,
depuis si long-temps?
— Je suis, je dis, je pense, je vois, je fais, comme j’étais, je di-
sais, je pensais, je voyais et je faisais, lorsque le sort vint à nous
séparer.
—-Ali! esprit stationnait-e et inébranlable, je te reconnais bien là!
Dix ans de monotonie dans dix années d’existence! Ce n’est pas vivre.
Eh bien, moi, mon cher, j’ai fait une petite fortune, un bon mariage
et des enfans charmans.
— Oh ! heureux ami, tu es époux ! et tu as des marmots !
•—■ Dis donc des Amours. — Tiens, Eugène, pour prolonger le plai-
sir de cette première rencontre, accepte le dîner de l’amitié; je vais
te présenter à ma femme, tu verras mes enfans et tu jouiras du tableau
de mon bonheur.
•— J’accepte avec reconnaissance. —- Ta femme est-elle jolie?
—• Adorable.
— Et jamais, jusqu’ici tu n’as... elle n’a... vous n’eûtes...
— Dieu! si un homme osait regarder mon Albertine! je lui passe-
rais tout un arsenal au travers du corps!
—- Sois tranquille, Derville, j’aurai toujours les yeux fixés sur mon
assiette.
— Eh! tu penses bien que je ne dis pas ça pour les anciens cama-
rades comme toi.
— Oh! époux magnanime et ami généreux !
Déjà nous commencions à entamer le quatrième étage d’un escalier
assez étroit, lorsque je fus frappé d’un bruit très-confus, mais fort
glapissant. J’allais m’informer de la cause d’un effet aussi incommode,
quand mon ami me dit d’un air triomphant : — Entends-tu mes pe-
tis gaillards, quel vacarme ils font là-haut? Cest toute la journée
comme cela.
Dès-lors, je trouvai fort gracieuse celte expression d’une joie en-
fantine.
— Ohé! ohé! v’ià papa ! cria, en ouvrant la porte, un gros joufflu
de cinq à six ans, qui entra au salon la tête entre les jambes de son
père, après quoi il faillit me jeter à la renverse, en me gratifiant de
la même gentillesse pendant que je présentais mes salutations respec-
tueuses à madame Derville.