——o Numéro 54. ———
Tout ce qui concerne la rédaction doit être adresse', franco,
à M. A. Audibert, Rédacteur en chef de la Caricature,
rue Bergère , n. ig.
•æggHæ-
CASTIGAT RTDENDO MORES.
— 1 0 NOVEMBRE 1851. «—
Sa.
J>es réclamations et envois d’argent doivent être adressés,
franco, au grand Magasin de Caricatures d’A disert ,
galerie Véro-Dodat.
MORALE , RELIGIEUSE , LITTERAIRE ET SCENIQUE.
---
AVIS.
On trouvera chez M. Aubert tous les anciens numéros de la Cari-
cature au prix ordinaire de Vabonnement, jusqu’au 1" janvier i 83 i.
A celte époque, le prix des 5 a premiers numéros sera doublé.
Caricatures.
—-=-eSS©9@g33-<=—
NOUVELLE MANIÈRE CE GAGNER SA VIE.
Que faire quand on ne sait plus que faire?
Se faire gendarme ou sergent de ville? cela répugne.
Se faire sauter la cervelle? cela n’est pas à la portée de tout le
monde.
Battre sa femme quand on en a une? c’est dangereux , car elle peut
vous le rendre.
Voler? c’est immoral.
Jurer? c’est irréligieux.
Ne rien faire? c’est peu restaurant.
Donc, que faire quand on ne sait plus que faire?
Le voici : se faire roi, roi sans trône, sans sujets, sans ministres
surtout; roi heureux, roi à pied, roi crotté ; en un mot, se faire
Louis XVII.
Vous tous, ouvriers sans travail, maçons, charpentiers, forgerons,
bijoutiers, ferblantiers, serruriers, marchands de peaux de lapin,
que sais-je? vous qui avez croisé les bras après voire œuvre immense,
l’hiver approche et la fringale aussi; hâtez-vous; profitez de mes con-
seils; faites-vous Louis XVII.
Rien n’est plus simple.
Et d’abord , il vous faut décroiser les bras. C’est une attitude qui ne
convient qu’au patriotisme, et, vous le voyez, il s’agit de vous faire
roi, ce qui, dans aucun cas, n’a jamais rien de patriote.
Vous prenez ensuite un grand bâton; vous attachez, à l’un des
bouts votre royale garde-robe, c’est-à-dire, un petit mouchoir de
poche dans un grand bas, si tant est qu’il vous reste un bas; vous
mettez ce bâton sur votre épaule, et vous allez.
Où vais-je? me direz-vous.
— Qu’est-ce que cela me fait à moi ? Allez toujours, je ne vous dis
que cela ; allez où vous voudrez, à droite, à gauche, par ci, par là ,
n’importe. Un roi est bien libre d’aller où bon lui semble dans son
royaume. L’important d’ailleurs, c’est que vous alliez quelque part.
Or, quand vous serez arrivé là, vous dites : M’y voilà.
— Et après? me demanderez-vous.
— Après! après! est-ce que cela me regarde, sire? Votre Majesté
dit : M’y voilà ; elle n’a pas besoin d’en dire davantage.
Or, quand vous êtes là, au milieu de la grand’route, le ventre vide
et les pieds dans la boue, si vous n’êtes pas encore heureux comme un
roi, du moins il ne s’en manque guère. Vous êtes tout au bas du
trône. Et alors, vous vous lavez les mains dans le ruisseau; vous
rabaissez vos cheveux sur votre front; vous enfoncez votre casquette
aussi avant que possible ; vous entrouvrez les lèvres de manière
à ce qu’on aperçoive sans cesse votre noble mâchoire ; vous réduisez
votre cravate à sa plus simple expression, de façon à paraître emman-
ché d’un long cou, et vous vous rendez, ainsi fait, ainsi bourbon-
nisé, chez le curé de l’endroit. Vous frappez , on ouvre ; la gouver-
nante vous interroge ; vous ne répondez pas ; elle a peur, elle veut
vous empêcher d’entrer, elle vous prend pour un brigand ; car il n’y
a rien qui ressemble à un brigand comme un monarque incognito;
enfin , elle vous dit que M. le curé n’y est pas : c’est égal, vous entrez
tout de même; le petit chien vous court après et vous mord les mol-
lets, c’est possible ; Votre Majesté daigne détacher un vigoureux coup
de pied à ce roquet séditieux ; le roquet crie , la gouvernante crie ,
tout le monde crie, excepté vous, qui surprenez, le dos au feu, le
ventre à table, M. le curé qui n’y était pas. M. le curé vous dit alors :
Je n’ai pas le temps en ce moment, je suis en affaire , vous repasserez
demain. — Demain ! répondez vous alors, d’une voix grave et caver-
neuse, ainsi qu il convient à un roi à jeun : Demain, il 11e sera plus
temps !
Ces mots, ces simples mots, et surtout le ton mystérieux et digne
dont vous les avez proférés, ont frappé le curé. Il vous examine. Votre
air piteux et nauséabond font travailler son imagination. Serait-ce,
pense-t-il, quelque messager d’Holy-Rood? « Donnez-vous donc la
« peine de vous asseoir... — Mademoiselle Coniquet (c’est le nom de
« la gouvernante) , donnez donc une chaise à Monsieur. — Bien. —
« Maintenant, Monsieur, puis-je savoir?...
« — Oui, Monsieur,... mais je ne sais si je dois... si je puis... devant
« Mademoiselle...
« — Oui, oui, vous le pouvez, je n’ai jamais eu rien de caché
« pour elle.
« — Hé bien ! Monsieur, voici ce qui m’amène... Vous êtes le pre-
« mier à qui je confie cet important secret, mais j’ai dû vous donner
Tout ce qui concerne la rédaction doit être adresse', franco,
à M. A. Audibert, Rédacteur en chef de la Caricature,
rue Bergère , n. ig.
•æggHæ-
CASTIGAT RTDENDO MORES.
— 1 0 NOVEMBRE 1851. «—
Sa.
J>es réclamations et envois d’argent doivent être adressés,
franco, au grand Magasin de Caricatures d’A disert ,
galerie Véro-Dodat.
MORALE , RELIGIEUSE , LITTERAIRE ET SCENIQUE.
---
AVIS.
On trouvera chez M. Aubert tous les anciens numéros de la Cari-
cature au prix ordinaire de Vabonnement, jusqu’au 1" janvier i 83 i.
A celte époque, le prix des 5 a premiers numéros sera doublé.
Caricatures.
—-=-eSS©9@g33-<=—
NOUVELLE MANIÈRE CE GAGNER SA VIE.
Que faire quand on ne sait plus que faire?
Se faire gendarme ou sergent de ville? cela répugne.
Se faire sauter la cervelle? cela n’est pas à la portée de tout le
monde.
Battre sa femme quand on en a une? c’est dangereux , car elle peut
vous le rendre.
Voler? c’est immoral.
Jurer? c’est irréligieux.
Ne rien faire? c’est peu restaurant.
Donc, que faire quand on ne sait plus que faire?
Le voici : se faire roi, roi sans trône, sans sujets, sans ministres
surtout; roi heureux, roi à pied, roi crotté ; en un mot, se faire
Louis XVII.
Vous tous, ouvriers sans travail, maçons, charpentiers, forgerons,
bijoutiers, ferblantiers, serruriers, marchands de peaux de lapin,
que sais-je? vous qui avez croisé les bras après voire œuvre immense,
l’hiver approche et la fringale aussi; hâtez-vous; profitez de mes con-
seils; faites-vous Louis XVII.
Rien n’est plus simple.
Et d’abord , il vous faut décroiser les bras. C’est une attitude qui ne
convient qu’au patriotisme, et, vous le voyez, il s’agit de vous faire
roi, ce qui, dans aucun cas, n’a jamais rien de patriote.
Vous prenez ensuite un grand bâton; vous attachez, à l’un des
bouts votre royale garde-robe, c’est-à-dire, un petit mouchoir de
poche dans un grand bas, si tant est qu’il vous reste un bas; vous
mettez ce bâton sur votre épaule, et vous allez.
Où vais-je? me direz-vous.
— Qu’est-ce que cela me fait à moi ? Allez toujours, je ne vous dis
que cela ; allez où vous voudrez, à droite, à gauche, par ci, par là ,
n’importe. Un roi est bien libre d’aller où bon lui semble dans son
royaume. L’important d’ailleurs, c’est que vous alliez quelque part.
Or, quand vous serez arrivé là, vous dites : M’y voilà.
— Et après? me demanderez-vous.
— Après! après! est-ce que cela me regarde, sire? Votre Majesté
dit : M’y voilà ; elle n’a pas besoin d’en dire davantage.
Or, quand vous êtes là, au milieu de la grand’route, le ventre vide
et les pieds dans la boue, si vous n’êtes pas encore heureux comme un
roi, du moins il ne s’en manque guère. Vous êtes tout au bas du
trône. Et alors, vous vous lavez les mains dans le ruisseau; vous
rabaissez vos cheveux sur votre front; vous enfoncez votre casquette
aussi avant que possible ; vous entrouvrez les lèvres de manière
à ce qu’on aperçoive sans cesse votre noble mâchoire ; vous réduisez
votre cravate à sa plus simple expression, de façon à paraître emman-
ché d’un long cou, et vous vous rendez, ainsi fait, ainsi bourbon-
nisé, chez le curé de l’endroit. Vous frappez , on ouvre ; la gouver-
nante vous interroge ; vous ne répondez pas ; elle a peur, elle veut
vous empêcher d’entrer, elle vous prend pour un brigand ; car il n’y
a rien qui ressemble à un brigand comme un monarque incognito;
enfin , elle vous dit que M. le curé n’y est pas : c’est égal, vous entrez
tout de même; le petit chien vous court après et vous mord les mol-
lets, c’est possible ; Votre Majesté daigne détacher un vigoureux coup
de pied à ce roquet séditieux ; le roquet crie , la gouvernante crie ,
tout le monde crie, excepté vous, qui surprenez, le dos au feu, le
ventre à table, M. le curé qui n’y était pas. M. le curé vous dit alors :
Je n’ai pas le temps en ce moment, je suis en affaire , vous repasserez
demain. — Demain ! répondez vous alors, d’une voix grave et caver-
neuse, ainsi qu il convient à un roi à jeun : Demain, il 11e sera plus
temps !
Ces mots, ces simples mots, et surtout le ton mystérieux et digne
dont vous les avez proférés, ont frappé le curé. Il vous examine. Votre
air piteux et nauséabond font travailler son imagination. Serait-ce,
pense-t-il, quelque messager d’Holy-Rood? « Donnez-vous donc la
« peine de vous asseoir... — Mademoiselle Coniquet (c’est le nom de
« la gouvernante) , donnez donc une chaise à Monsieur. — Bien. —
« Maintenant, Monsieur, puis-je savoir?...
« — Oui, Monsieur,... mais je ne sais si je dois... si je puis... devant
« Mademoiselle...
« — Oui, oui, vous le pouvez, je n’ai jamais eu rien de caché
« pour elle.
« — Hé bien ! Monsieur, voici ce qui m’amène... Vous êtes le pre-
« mier à qui je confie cet important secret, mais j’ai dû vous donner