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LA CARICATURE.
miracle opéra. Au lieu de mourir de vieillesse, Philippe-le-Long
mourut de la colique dans la maison de Long-Champs.
Long-temps cette abbaye fut un pèlerinage où l’on se rendait de
toutes parts. Mais bientôt le prétexte religieux donna lieu aux scènes
les plus scandaleuses-, un édit défendit ce rendez-vous dans l intérét
des mœurs.
Pendant les dernières années du règne de Louis XVI, la défense
était tombée en désuétude, ainsi que beaucoup d’autres choses, et
Long-Cbamps était devenu le lieu des promenades les plus brillantes.
Les mercredi, jeudi et vendredi de la semaine-sainte, la longue ave-
nue des Champs-Élysées, ainsi que le chemin conduisant aux ruines
du couvent, étaient couverts d’une foule de promeneurs qui étalaient
à l’envi toutes les richesses du luxe et de la coquetterie. Les étrangers
eux-mêmes et surtout les Anglais venaient, ces jours là, disputer de
magnificence avec les Français. Quelques-uns poussèrent l’ostentation
jusqu'à se faire traîner par des chevaux ferrés d’argent, dans des voi-
ture à roues garnies de même métal.
C’est à cette époque que M. le comte d’Artois, aujourd’hui rentier
à Holy-Rood, ruina assez d’usuriers pour fournir à la Duthé un équi-
page orné de dorures et de pierreries. Sur le point de faire une ma-
ladie, de colère d’être écrasée dans son luxe royal par le luxe d’une
comédienne, Marie-Antoinette menaça de réclusion la Duthé si elle
paraissait à Long-Champs. — Elle n’y parut pas.
Méchamment détruite avec les autres établissemens religieux à l’é-
poque de la première révolution, l’abbaye cessa, jusqu’au Consulat,
d’être le rendez-vous du luxe; mais quand Bonaparte eut relevé les
autels, elle attira de nouveau tout ce que Paris et la France possé-
daient de plus brillant. Mesdames Tallien et Récamier donnèrent le
ton dans ces jours d’étalage, et toutes les femmes disputèrent de folies
pour les imiter. C’était une rivalité fastueuse de toilettes, de livrées,
de voitures et d’attelages. Chaque journée sainte coûtait un membre à
plus de trente malheureux piétons.
Sur la fin de l’empire, la magnificence de la promenade de Long-
Champs sembla s’éclipser. Tout ce qu’il y avait de grand alors parcou-
rait l’Europe; les femmes avaient peu d’intérêt à se montrer sur ce
théâtre désert, pendant que la foule de leurs admirateurs se faisait
décimer à Saint-Jean et à Waterloo.
Pas plus que le gouvernement précédent, la Restauration ne rendit
à la promenade de Long-Champs sa première teinte religieuse ; néan-
moins les cavalcades du duc de Guiche et de lord Seymours, la rivalité
luxueuse de la finance et de l’aristocratie, enfin l’attrait des inodes
nouvelles qui paraissaient à cette époque, furent autant de ressources
pour le commerce et l’industrie.
Cette année ne brillera pas dans les fastes de Long-Champs. Un
Anglais qui était venu pour disputer de bonne tournure avec la
grande nation, s’est long-temps promené, vendredi, tout seul avec
sa canne.
Contre l’habitude, les visages parisiens avaient l’air sombre et mé-
content. C’est sans doute parce qu’il faisait froid.
Le comte Alex de B_
l/EMBUSCADE.
— Esquisse du moyen âge. —
C’était à la fin d’une superbe journée d’août i5g4 ; le soleil ne lan-
çait plus que des rayons obliques sur les riantes clairières du petit
bois de Barret, situé à très-peu de distance de Bordeaux, sur la
route de Bayonne ; les plantes, ranimées par une brise fraîche et vivi-
fiante, relevaient leurs tiges inclinées vers le sol, et les oiseaux ,
prêts à se livrer au sommeil, s’agitaient sous leurs verts lambris, en
saluant d’un bruyant et dernier concert le coucher de l’astre du
jour.
A cette époque de troubles et de guerres intestines, il était rare
qu’on osât s’aventurer hors des villes, et si quclqu’affaire vous y
forçait, ce n’était que bien armé ou même avec une escorte, tant
était grande la crainte des bandouliers et des hommes d’armes en
déroute qui infestaient les campagnes, employant leurs loisirs à dé-
trousser et rançonner les voyageurs.
Ce jour-là pourtant, à l’heure oit les ouvriers quittent le travail,
deux hommes étaient partis de Bordeaux et s’étaient acheminés vers
le bois de Barret. Quoiqu’ils ne portassent ni cottes d’armes, ni
cuirasses, ni buffletcrie, ni dague, ni rien de ce qui constituait
alors l’accoutrement militaire, le tromblon à canon de cuivre , le co-
lévasé dont chacun d’eux était muni, indiquaient assez que leur excur-
sion avait un tout autre but qu’une simple promenade.
Il y avait déjà quelque temps qu’ils étaient cachés dans un taillis
qui bordait la route, vers laquelle ils jetaient souvent des regards
impatiens, lorsque l’un d’eux rompit enfin le silence.
— Rien encore, s’écria-t-il avec un jurement énergique, et voilà
huit heures qui sonnent à Saint-André. Conçois-tu quelque chose à ce
retardBertrand ?
— Tiens, Macairc, répondit l’autre qui paraissait moins déter-
miné, si tu m’en crois, nous abandonnerons la place; aussi bien,
tu t’es trompé de jour, et notre expédition est manquée.
— Manquée! dis-tu? Non pas, je suis sûr de mon fait. Ne sommes-
nous point à la mi-août, et n'est-ce pas toujours à cette époque que le
prieur de Saint-Dominique va recueillir ses dîmes? Le vieux chré-
tien est riche, et la proie sera belle.
— Porter la main sur un homme d eglise, reprit Bertrand, c’est
un crime horrible!....
— Bah! nous gagnerons les indulgences au prochain jubilé.
D’ailleurs, n’est-ce pas à nos dépens qu’ils s’engraissent, ces gens
d’église? Et celui-ci a-t-il eu pitié de toi, pauvre gars, quand tu fus
cité à l’official pour avoir tué des lapins sur les plaisirs de sa sei-
gneurie?
— C’est vrai, mon dos attesterait encore le prix que me coûtèrent
ces maudits lapins; mais aussi le prieur a plus d’une fois secouru
mon père, que rua conduite a réduit au pain de l’aumone. Ce matin
encore il est parti pour aller mendier sa vie dans les villages en-
vironnons; il doit revenir par cette route.... S’il voyait le métier
que je fais, il mourrait de douleur!
— Toujours des scrupules, interrompit Macaire. Pauvre sot, ta
probité t’empêchera-t-elle de mourir de faim ? te fera-t-elle épouser
ta mie Gertrude, la fille de Messir Raimbault ?....
— Gertrude! Pourquoi as-tu prononcé ce nom?... Oui, il le faut;
eh bien, que mon sort s’accomplisse donc!....
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LA CARICATURE.
miracle opéra. Au lieu de mourir de vieillesse, Philippe-le-Long
mourut de la colique dans la maison de Long-Champs.
Long-temps cette abbaye fut un pèlerinage où l’on se rendait de
toutes parts. Mais bientôt le prétexte religieux donna lieu aux scènes
les plus scandaleuses-, un édit défendit ce rendez-vous dans l intérét
des mœurs.
Pendant les dernières années du règne de Louis XVI, la défense
était tombée en désuétude, ainsi que beaucoup d’autres choses, et
Long-Cbamps était devenu le lieu des promenades les plus brillantes.
Les mercredi, jeudi et vendredi de la semaine-sainte, la longue ave-
nue des Champs-Élysées, ainsi que le chemin conduisant aux ruines
du couvent, étaient couverts d’une foule de promeneurs qui étalaient
à l’envi toutes les richesses du luxe et de la coquetterie. Les étrangers
eux-mêmes et surtout les Anglais venaient, ces jours là, disputer de
magnificence avec les Français. Quelques-uns poussèrent l’ostentation
jusqu'à se faire traîner par des chevaux ferrés d’argent, dans des voi-
ture à roues garnies de même métal.
C’est à cette époque que M. le comte d’Artois, aujourd’hui rentier
à Holy-Rood, ruina assez d’usuriers pour fournir à la Duthé un équi-
page orné de dorures et de pierreries. Sur le point de faire une ma-
ladie, de colère d’être écrasée dans son luxe royal par le luxe d’une
comédienne, Marie-Antoinette menaça de réclusion la Duthé si elle
paraissait à Long-Champs. — Elle n’y parut pas.
Méchamment détruite avec les autres établissemens religieux à l’é-
poque de la première révolution, l’abbaye cessa, jusqu’au Consulat,
d’être le rendez-vous du luxe; mais quand Bonaparte eut relevé les
autels, elle attira de nouveau tout ce que Paris et la France possé-
daient de plus brillant. Mesdames Tallien et Récamier donnèrent le
ton dans ces jours d’étalage, et toutes les femmes disputèrent de folies
pour les imiter. C’était une rivalité fastueuse de toilettes, de livrées,
de voitures et d’attelages. Chaque journée sainte coûtait un membre à
plus de trente malheureux piétons.
Sur la fin de l’empire, la magnificence de la promenade de Long-
Champs sembla s’éclipser. Tout ce qu’il y avait de grand alors parcou-
rait l’Europe; les femmes avaient peu d’intérêt à se montrer sur ce
théâtre désert, pendant que la foule de leurs admirateurs se faisait
décimer à Saint-Jean et à Waterloo.
Pas plus que le gouvernement précédent, la Restauration ne rendit
à la promenade de Long-Champs sa première teinte religieuse ; néan-
moins les cavalcades du duc de Guiche et de lord Seymours, la rivalité
luxueuse de la finance et de l’aristocratie, enfin l’attrait des inodes
nouvelles qui paraissaient à cette époque, furent autant de ressources
pour le commerce et l’industrie.
Cette année ne brillera pas dans les fastes de Long-Champs. Un
Anglais qui était venu pour disputer de bonne tournure avec la
grande nation, s’est long-temps promené, vendredi, tout seul avec
sa canne.
Contre l’habitude, les visages parisiens avaient l’air sombre et mé-
content. C’est sans doute parce qu’il faisait froid.
Le comte Alex de B_
l/EMBUSCADE.
— Esquisse du moyen âge. —
C’était à la fin d’une superbe journée d’août i5g4 ; le soleil ne lan-
çait plus que des rayons obliques sur les riantes clairières du petit
bois de Barret, situé à très-peu de distance de Bordeaux, sur la
route de Bayonne ; les plantes, ranimées par une brise fraîche et vivi-
fiante, relevaient leurs tiges inclinées vers le sol, et les oiseaux ,
prêts à se livrer au sommeil, s’agitaient sous leurs verts lambris, en
saluant d’un bruyant et dernier concert le coucher de l’astre du
jour.
A cette époque de troubles et de guerres intestines, il était rare
qu’on osât s’aventurer hors des villes, et si quclqu’affaire vous y
forçait, ce n’était que bien armé ou même avec une escorte, tant
était grande la crainte des bandouliers et des hommes d’armes en
déroute qui infestaient les campagnes, employant leurs loisirs à dé-
trousser et rançonner les voyageurs.
Ce jour-là pourtant, à l’heure oit les ouvriers quittent le travail,
deux hommes étaient partis de Bordeaux et s’étaient acheminés vers
le bois de Barret. Quoiqu’ils ne portassent ni cottes d’armes, ni
cuirasses, ni buffletcrie, ni dague, ni rien de ce qui constituait
alors l’accoutrement militaire, le tromblon à canon de cuivre , le co-
lévasé dont chacun d’eux était muni, indiquaient assez que leur excur-
sion avait un tout autre but qu’une simple promenade.
Il y avait déjà quelque temps qu’ils étaient cachés dans un taillis
qui bordait la route, vers laquelle ils jetaient souvent des regards
impatiens, lorsque l’un d’eux rompit enfin le silence.
— Rien encore, s’écria-t-il avec un jurement énergique, et voilà
huit heures qui sonnent à Saint-André. Conçois-tu quelque chose à ce
retardBertrand ?
— Tiens, Macairc, répondit l’autre qui paraissait moins déter-
miné, si tu m’en crois, nous abandonnerons la place; aussi bien,
tu t’es trompé de jour, et notre expédition est manquée.
— Manquée! dis-tu? Non pas, je suis sûr de mon fait. Ne sommes-
nous point à la mi-août, et n'est-ce pas toujours à cette époque que le
prieur de Saint-Dominique va recueillir ses dîmes? Le vieux chré-
tien est riche, et la proie sera belle.
— Porter la main sur un homme d eglise, reprit Bertrand, c’est
un crime horrible!....
— Bah! nous gagnerons les indulgences au prochain jubilé.
D’ailleurs, n’est-ce pas à nos dépens qu’ils s’engraissent, ces gens
d’église? Et celui-ci a-t-il eu pitié de toi, pauvre gars, quand tu fus
cité à l’official pour avoir tué des lapins sur les plaisirs de sa sei-
gneurie?
— C’est vrai, mon dos attesterait encore le prix que me coûtèrent
ces maudits lapins; mais aussi le prieur a plus d’une fois secouru
mon père, que rua conduite a réduit au pain de l’aumone. Ce matin
encore il est parti pour aller mendier sa vie dans les villages en-
vironnons; il doit revenir par cette route.... S’il voyait le métier
que je fais, il mourrait de douleur!
— Toujours des scrupules, interrompit Macaire. Pauvre sot, ta
probité t’empêchera-t-elle de mourir de faim ? te fera-t-elle épouser
ta mie Gertrude, la fille de Messir Raimbault ?....
— Gertrude! Pourquoi as-tu prononcé ce nom?... Oui, il le faut;
eh bien, que mon sort s’accomplisse donc!....