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philosophie même, jusqu'à définir leur esprit classique et leur imposer,
de Poussin à Corot, de Le Nôtre à Chardin, de Descartes à Rameau,
de Racine à Stendhal, de La Fontaine à Pascal et de Claude Lorrain à
Malebranche, des rythmes symétriques et des proportions mesurées jusque
dans les cris de souffrance et les écarts sentimentaux? Que le génie du
décor et de la plastique est aussi visible chez Dante ou Monteverde que
chez Palestrina ou d' Annunzio, où la sensation sculpturale est constante,
donnant à la littérature même l'aspect d'une série de formes en mouve-
ment se succédant dans la durée comme s'il s'agissait d'un mur à peindre
ou d'une façade à orner? Que les Allemands transportent l'esprit musical
dans leurs poèmes, dans leur philosophie aussi, et jusque dans leur science,
matières confuses et sans contours reliées par mille passages obéissant à
une sorte de hantise sentimentale d'édifier sur le néant un monument
métaphysique dû à leur seule volonté? Que le drame espagnol se transporte
dans l' architecture où l' 01 et l'obscurité bougent, et, par Greco, ^urbaran,
Vélasquez, Goya glisse dans la peinture, subtils ou violents contrastes,
transpositions dans un réalisme farouche d'un mysticisme intransigeant,
apparitions silencieuses, jeux sinistres, ossements, fantômes, éclaboussures
sanglantes dans la nuit? Que le lyrisme anglais se retrouve dans le pay-
sage peint, fantastiques lueurs, échevèlement des nuées, arbres tordus,
brumes illuminées de Turner où saigne un œil rouge, châteaux dans le
ciel, joyaux dans la mer, et jusque dans les jardins désordonnés, et jusque
dans la science exacte, ronde des sphères dans le grand silence des cieux?
Aussi parentes que soient les unes des autres les formes d'art univer-
selles, il est impossible de passer de la grande unité confuse du moyen âge
occidental à l'anarchie du monde moderne sans s'arrêter à ce point drama-
tique où la Renaissance définit, par le moyen des individus et des écoles,
le rôle que chacun allait avoir à jouer dans la tâche commune. Il était,
à ce moment-là, de particulariser les aspects infiniment variés du monde
pour refaire à l'humanité européenne les éléments d'une mystique où l'unite
ancienne de la science et de l'art pût se reconstruire un jour dans le cœur
des multitudes. Je crois cela, du moins. Je n'imagine pas que l'homme
puisse s' affranchir à la légère de rythmes dont la vertu lui donna durant
tant de siècles la sécurité, si ce n'est en enfantant de jeunes rythmes dans
le péché et la douleur. L'humanité ne doit pas avoir d'autre raison de vivre
que de renouveler sa puissance d'amour au contact des formes du chemin
qui se renouvellent sans l'attendre. Il ne semble pas possible d'aimer, ou
d'excuser, ou de maudire, ou mieux de comprendre la Renaissance, en envi-
sageant son effort sous un autre jour que celui-là.

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