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trop de candeur pour s'apercevoir qu'il jouissait de la peinture pour
elle-même et n'aimait la mère de Jésus d'un si délicieux amour que
parce qu'elle avait un visage exquis de petite vierge timide, une belle
robe toute blanche et une auréole en or. Il n'était pas le premier, certes,
à raconter l'Annonciation. Les Siennois y revenaient à tout propos.
Seulement, chez les derniers mystiques, enfermés dans les pratiques
d'une religion qui baissait, la merveilleuse histoire semblait venir
d'un monde mort, elle sentait la fleur mourante et la dernière haleine
des encens. Chez Fra Angelico, au contraire, une humanité fraîche
et chaste l'envahissait doucement. Il était plongé dans son siècle
jusqu'aux épaules, mais il n'en voyait presque rien, car ses deux yeux
détournés des visions violentes apercevaient surtout des prés fleuris,
des cheveux blonds, des robes brodées, des cieux resplendissants
d'étoiles, il n'en entendait presque rien, car ses oreilles savaient s'isoler
du tumulte pour écouter les harpes et les jolies voix qui chantaient.
C'était une fiancée toute frêle qu'il prenait par la main pour l'offrir
au monde nouveau. En attendant qu'elle subît l'étreinte brûlante
des héros qui s'approchaient, c'est en lui qu'elle retrouvait sa néces-
saire innocence. L'Italie luttait depuis deux siècles pour la laver de
la souillure originelle. Les purificateurs du monde l'avaient si long-
temps outragée qu'à l'heure où la vie afflua dans le cœur des hommes,
ceux d'entre eux qui étaient chargés de la transmettre à l'avenir tour-
nèrent vers la femme leur adoration terrible. Depuis mille ans, on
l'avait oubliée ou salie ! Ils lui demandèrent pardon avec des sanglots
frénétiques, à deux genoux, les mains levées vers elle et sans oser la
regarder. Dante, toute sa vie, resta fidèle à une morte. Pétrarque,
toute sa vie, aima une vivante, qu'il ne voulut pas posséder. Giotto
parla d'elles avec tant de tendresse que c'est dans les bras et les mains,
dans les genoux pliés des mères et des épouses, qu'il surprit le départ
de toutes les courbes animées qui rattachent les formes au centre du
drame humain. Quand le moine entr'ouvrit, pour regarder passer la
femme, la porte de son cloître où la voix de cristal des cloches floren-
tines venait dans le souffle des roses, lui et elle étaient purifiés. Vrai-
ment, ils s'aimaient avec innocence. Ils s'étonnaient de tout, d'eux-
mêmes, des choses qu'on leur racontait, des maisons roses et blanches,
des collines qui s'étageaient et qu'il pût y avoir des larmes et des
tragédies, alors que la nature était si délicieuse et que le miracle
annoncé était si simple et si touchant. Les poètes du moyen âge avaient
effacé de leur cœur le souvenir des maux anciens, et comme tous deux
ignoraient l'amour, ils ne savaient pas qu'ils allaient encore souffrir.
Et pourtant, à quelques pas de Beato Angelico, l'expérience recom-
mençait. Tandis qu'il peignait dans la lumière et le silence dont ses

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