est là pour soi, chacun n'écoute que la passion qui l'a conduit ici,
l'exaltation mystique, la douleur, la haine, l'amour, la curiosité, l'admi-
ration, et c'est elle seule qui lui dicte son geste, le fait s'asseoir ou se
lever, marcher, rester immobile, qui le précipite à genoux, un enfant
debout entre les bras, ou le jette tout à fait sur la dalle qu'il frappe du
front. Il n'y a pas en Europe de peuple moins chrétien que celui-là
et c'est pour cela que l'Église a dû s'organiser chez lui, afin d'y main-
tenir, en face de l'individu, une apparence de solidarité. Le catholi-
cisme italien est une arabesque sociale.
C'est aussi pour cela que l'arabesque plastique est née de la médi-
tation des peintres de ce pays. Il fallait bien, puisque notre nature a
un besoin d'harmonie tellement fort que nous consentons, pour le
satisfaire, à traverser la douleur, il fallait bien, puisqu'elle ne trouvait
pas dans le sentiment des multitudes cette harmonie tant désirée,
qu'elle réunît les êtres épars, dressés, agenouillés, couchés par le vent
des passions ennemies, sous la même ligne sinueuse, ferme, ininter-
rompue, qui ne permît pas à un seul d'entre eux d'échapper à l'unité
vivante que devinaient les sens des artistes et que créait leur volonté.
D'ailleurs, dès qu'on parcourt l'Italie, qu'on sort des collines tos-
canes, du cirque romain, des plaines lombardes et qu'on va de hauteur
en hauteur, on la voit onduler comme la mer. Vue de haut et de loin,
quand on oublie les convulsions de la terre et les tempêtes passionnelles
des âmes, tout en elle se cherche et se rejoint, les arêtes de ses mon-
tagnes, les rampes de ses hautes collines qui conduisent les villes bâties
sur elles jusqu'à la plaine, par des routes en lacets, ces villes elles-
mêmes dont les rues en pente se divisent comme une eau, passent
sous le berceau des vieilles voûtes, semblent caresser les murailles du
reflux de leurs dalles nues, sa langue, or liquide qui roule des galets
de fer, son histoire qui jette une clarté égale bien qu'elle soit passée
presque sans transition depuis trente siècles des sommets les plus fiers
aux abîmes les plus arides.Il y a de tout cela dans le génie de
Raphaël Sanzio d'Urbin.
Et pourtant quelque chose y manque. Les compositions décora-
ratives ne répondent pas toujours au principe central de l'art, qui est
de rendre témoignage de la vie sans se préoccuper du prétexte de ce
témoignage et du sort qui lui est réservé. Raphaël ne paraît pas
souffrir de se voir imposer tous ses actes et de dépendre du caprice
d'un vieillard qui peut mourir le lendemain. Et quelle que soit la
liberté qu'on lui laisse de s'exprimer comme il l'entend, on voit un
peu trop qu'il n'est pas son maître et ne s'en tourmente pas. C'est l'art
d'un homme trop heureux. Il manque quelque chose à notre émotion
quand nous sommes devant ses fresques. L'œuvre de ceux qui ont
— 65 —
l'exaltation mystique, la douleur, la haine, l'amour, la curiosité, l'admi-
ration, et c'est elle seule qui lui dicte son geste, le fait s'asseoir ou se
lever, marcher, rester immobile, qui le précipite à genoux, un enfant
debout entre les bras, ou le jette tout à fait sur la dalle qu'il frappe du
front. Il n'y a pas en Europe de peuple moins chrétien que celui-là
et c'est pour cela que l'Église a dû s'organiser chez lui, afin d'y main-
tenir, en face de l'individu, une apparence de solidarité. Le catholi-
cisme italien est une arabesque sociale.
C'est aussi pour cela que l'arabesque plastique est née de la médi-
tation des peintres de ce pays. Il fallait bien, puisque notre nature a
un besoin d'harmonie tellement fort que nous consentons, pour le
satisfaire, à traverser la douleur, il fallait bien, puisqu'elle ne trouvait
pas dans le sentiment des multitudes cette harmonie tant désirée,
qu'elle réunît les êtres épars, dressés, agenouillés, couchés par le vent
des passions ennemies, sous la même ligne sinueuse, ferme, ininter-
rompue, qui ne permît pas à un seul d'entre eux d'échapper à l'unité
vivante que devinaient les sens des artistes et que créait leur volonté.
D'ailleurs, dès qu'on parcourt l'Italie, qu'on sort des collines tos-
canes, du cirque romain, des plaines lombardes et qu'on va de hauteur
en hauteur, on la voit onduler comme la mer. Vue de haut et de loin,
quand on oublie les convulsions de la terre et les tempêtes passionnelles
des âmes, tout en elle se cherche et se rejoint, les arêtes de ses mon-
tagnes, les rampes de ses hautes collines qui conduisent les villes bâties
sur elles jusqu'à la plaine, par des routes en lacets, ces villes elles-
mêmes dont les rues en pente se divisent comme une eau, passent
sous le berceau des vieilles voûtes, semblent caresser les murailles du
reflux de leurs dalles nues, sa langue, or liquide qui roule des galets
de fer, son histoire qui jette une clarté égale bien qu'elle soit passée
presque sans transition depuis trente siècles des sommets les plus fiers
aux abîmes les plus arides.Il y a de tout cela dans le génie de
Raphaël Sanzio d'Urbin.
Et pourtant quelque chose y manque. Les compositions décora-
ratives ne répondent pas toujours au principe central de l'art, qui est
de rendre témoignage de la vie sans se préoccuper du prétexte de ce
témoignage et du sort qui lui est réservé. Raphaël ne paraît pas
souffrir de se voir imposer tous ses actes et de dépendre du caprice
d'un vieillard qui peut mourir le lendemain. Et quelle que soit la
liberté qu'on lui laisse de s'exprimer comme il l'entend, on voit un
peu trop qu'il n'est pas son maître et ne s'en tourmente pas. C'est l'art
d'un homme trop heureux. Il manque quelque chose à notre émotion
quand nous sommes devant ses fresques. L'œuvre de ceux qui ont
— 65 —