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laiteux et des fuseaux d'émail. Les longs campaniles qui s'élancent
font penser à des minarets. On pourra ici, sans imprudence, charger
d'or les plafonds des palais gothiques. Les dômes, qui vont venir de
Rome, regardent sans étonnement les coupoles du Bosphore. Et les
trois rangs superposés de colonnes antiques, encadrant les fenêtres
cintrées sur qui se couchent les statues nues, alternent sans blesser le
regard de façade en façade avec les rangées grêles des colonnettes
arabes ou françaises. Comme elle le fera pour les peintres, Venise
entraîne dans le vertige de sa gloire et de sa sensualité tous les archi-
tectes qui lui viennent du continent, de Vérone, de Vicence, de Fer-
rare, de Florence même, si différente d'elle que leurs deux actions,
vues en bloc et de loin, paraissent antagonistes : Fra Giocondo, les
Lombardi, Sanmicheli, Sansovino, Andrea Palladio s'y transforment
ou même s'y découvrent et la renaissance architecturale italienne trouve
là un terrain favorable au développement de la vigueur sévère qui
sauve quelquefois son illogisme et ses fantaisies décoratives. Les palais
défilent et tournent avec l'eau, les canaux étroits s'ouvrent et se perdent
entre les maisons inclinées qui baignent dans leurs masses glauques,
des ponts chinois profilent leur dos d'âne au fond des perspectives
moirées et clapotantes qui s'entrevoient et disparaissent, — l'harmonie
se soutient toujours, sortie d'un même idéal effréné d'abondance, d'un
même effort vers la domination des terres orientales et des mers,
d'une même victorieuse histoire, d'une même traînée resplendissante
de miroitements et de reflets qui court des vagues aux nuages après
avoir tant pénétré les pierres qu'elles ont sa couleur d'algue marine
trempée dans l'azur et le feu.

II
C'est grâce à l'unité de la symphonie vénitienne où la pierre,
l'atmosphère et l'eau, la vie populaire et princière, le commerce et
l'histoire associaient la multiplicité de leurs rapports sur un espace
si étroit, dans un milieu si dense et si spontanément, que la grande
peinture apparut à Venise presque mûre du premier coup, sans offrir
le spectacle de la lutte fiévreuse entre ses souvenirs et ses pressentiments
où Florence avait consumé son génie. En cinquante ans, elle forgea
l'une des armes les plus sûres que réclamait le monde en quête de
rythmes nouveaux. Elle rendit à la nature matérielle, à la volupté
nécessaire leur dignité d'éléments immortels. Son idéalisme sensuel
éclata avec tant de puissance qu'il se réalisa très vite et mourut aussi

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