sens populaire luttant contre la sottise du clerc, l'esprit de justice
insurgé contre l'esprit de chicane, le réveil de la foi candide défigurée
par la bigoterie, est regardé d'abord comme un événement provi-
dentiel qui dispense l'homme d'agir.
L'affaissement du peuple, avant qu'arrivât la bonne fille, n'était
que trop explicable. Jamais la France du Nord n'avait connu des
temps aussi durs. A la fin du xvie siècle, sa population était réduite
des deux tiers. Le paysan, réfugié dans les bois ou les carrières, aban-
donnait aux bandes armées les champs et les chemins. Routiers, bri-
gands, soldats dévastaient les campagnes et rançonnaient les cités sous
la bannière de France, d'Angleterre, de Bourgogne ou d'Armagnac.
Le froid, la faim tuaient plus de gens que la guerre. Vidées par la
peste, la famine, le pillage, l'impôt, les villes en ruine n'étaient plus
que des campements où toute industrie, tout trafic, toute vie sociale
s'arrêtaient. Les loups erraient dans Paris, en plein jour. On mangeait
ce qu'on pouvait, des débris sans nom, des ordures, jusqu'à de la
chair humaine, morte ou vive.
A ce moment-là, c'était le silence. L'Ile-de-France, en cent ans,
ne vit s'élever qu'un édifice, la Bastille, et c'était une forteresse. Les
cathédrales énervées, elles-mêmes, ne poussaient que dans les régions
où on trouvait, à défaut d'espérance, les légumes, la viande, le pain,
l'argent, Rouen et la Normandie que tenait l'Anglais. Le Français
proprement dit ne sculptait que des tombes, et l'élan que la peinture
gothique descendue de la verrière avait paru prendre un moment
avec les Valois — le premier portrait connu, en France, est celui de
Jean le Bon par Girard d'Orléans — était brisé. Des artistes errants,
il est vrai, suivaient la monarchie errante, Jean Fouquet, peintre
de Charles VII, fondait l'École de la Loire et maintenait, en face de
l'oppression anglaise et de la richesse bourguignonne et flamande,
l'âme des imagiers de l'Ile-de-France et des conteurs de fabliaux. Mais
presque tous allaient là où on trouvait l'action et un peu de sécurité.
Les ouvriers gothiques refluent sur un demi-cercle réunissant les
Pays-Bas à la vallée du Rhône par la Bourgogne, les villes flamandes
à la cour papale d'Avignon par la cour ducale de Dijon, fuyant la
zone investie comme s'échappaient les statues et les peintures de l'ar-
chitecture sociale oubliée ou pervertie.
La Flandre, depuis quatre cents ans déjà, était un tel foyer de vie
qu'elle ne pouvait, en même temps, ne pas être un foyer d'art. On
parlait dès le xie siècle de Bruges, de Gand, d'Ypres, gros atelier de
teinturerie et de tissage où fermentait un peuple d'ouvriers pauvres,
mais groupés en fortes ghildes, qui se levaient en masse à l'appel des
cloches du beffroi pour défendre contre le roi de France, avant leurs
— 106 - —
insurgé contre l'esprit de chicane, le réveil de la foi candide défigurée
par la bigoterie, est regardé d'abord comme un événement provi-
dentiel qui dispense l'homme d'agir.
L'affaissement du peuple, avant qu'arrivât la bonne fille, n'était
que trop explicable. Jamais la France du Nord n'avait connu des
temps aussi durs. A la fin du xvie siècle, sa population était réduite
des deux tiers. Le paysan, réfugié dans les bois ou les carrières, aban-
donnait aux bandes armées les champs et les chemins. Routiers, bri-
gands, soldats dévastaient les campagnes et rançonnaient les cités sous
la bannière de France, d'Angleterre, de Bourgogne ou d'Armagnac.
Le froid, la faim tuaient plus de gens que la guerre. Vidées par la
peste, la famine, le pillage, l'impôt, les villes en ruine n'étaient plus
que des campements où toute industrie, tout trafic, toute vie sociale
s'arrêtaient. Les loups erraient dans Paris, en plein jour. On mangeait
ce qu'on pouvait, des débris sans nom, des ordures, jusqu'à de la
chair humaine, morte ou vive.
A ce moment-là, c'était le silence. L'Ile-de-France, en cent ans,
ne vit s'élever qu'un édifice, la Bastille, et c'était une forteresse. Les
cathédrales énervées, elles-mêmes, ne poussaient que dans les régions
où on trouvait, à défaut d'espérance, les légumes, la viande, le pain,
l'argent, Rouen et la Normandie que tenait l'Anglais. Le Français
proprement dit ne sculptait que des tombes, et l'élan que la peinture
gothique descendue de la verrière avait paru prendre un moment
avec les Valois — le premier portrait connu, en France, est celui de
Jean le Bon par Girard d'Orléans — était brisé. Des artistes errants,
il est vrai, suivaient la monarchie errante, Jean Fouquet, peintre
de Charles VII, fondait l'École de la Loire et maintenait, en face de
l'oppression anglaise et de la richesse bourguignonne et flamande,
l'âme des imagiers de l'Ile-de-France et des conteurs de fabliaux. Mais
presque tous allaient là où on trouvait l'action et un peu de sécurité.
Les ouvriers gothiques refluent sur un demi-cercle réunissant les
Pays-Bas à la vallée du Rhône par la Bourgogne, les villes flamandes
à la cour papale d'Avignon par la cour ducale de Dijon, fuyant la
zone investie comme s'échappaient les statues et les peintures de l'ar-
chitecture sociale oubliée ou pervertie.
La Flandre, depuis quatre cents ans déjà, était un tel foyer de vie
qu'elle ne pouvait, en même temps, ne pas être un foyer d'art. On
parlait dès le xie siècle de Bruges, de Gand, d'Ypres, gros atelier de
teinturerie et de tissage où fermentait un peuple d'ouvriers pauvres,
mais groupés en fortes ghildes, qui se levaient en masse à l'appel des
cloches du beffroi pour défendre contre le roi de France, avant leurs
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