de l'ogive, elle constitue le foyer principal de l'École romane du Nord.
L'architecture française y a pris plus tard un caractère d'abondance,
de luxe, de matérialité très éloigné de l'idéal champenois, parisien ou
picard, et quand la sculpture des tombeaux s'y développe comme en
France, c'est avec un tout autre accent. Ils ne sont plus les pures, les
graves et fines effigies qui s'allongent dans l'ombre presque impéné-
trable des caveaux, ils sont faits pour les chapelles réchauffées de
vitraux et de cierges avec leurs géants bleus couchés sur le marbre
noir et pleurés par les anges, leurs moines bien vêtus, bien nourris,
bien rentés, et parfois, comme dans le tombeau de Philippe Pot, leur
somptuosité funèbre, la force de guerrier tombé, le deuil des pleureurs
noirs dont les visages se cachent, la profondeur des rouges et des ors
dans l'obscurité rougeoyante. Quand les ducs de Bourgogne arrivent
à Dijon, le mouvement d'échange économique et intellectuel entre les
provinces flamandes et les provinces bourguignonnes se fait d'autant
plus actif qu'il existe, entre les tempéraments de leurs populations,
des affinités plus profondes. Même vie plantureuse, plus épaisse peut-
être en Flandre, où l'atmosphère est gorgée d'eau, la vie industrielle
concentrée dans les villes, pressée autour des métiers, enfoncée dans
la laine et le drap, abreuvée de bières pesantes, plus éloquente et fas-
tueuse en Bourgogne où le tapis serré des vignes s'étend, de Beaune
à Dijon, sur l'or sombre des coteaux, où les poitrines boivent plus d'air
et de soleil au milieu des ceps, où le vin rouge enflamme les visages,
inonde le sang de chaleur. Les fêtes populaires des Flamands, les
grosses fêtes lourdes où l'on mange et boit beaucoup, reconnaissent
leurs plaisirs essentiels, vêtus de velours, de brocart, de drap d'or
dans les galas brutaux de la cour de Dijon, entassements de nourri-
ture, étalage d'amours grossières, ripailles, beuveries, tournois, car-
rousels et cavalcades sur des jonchées de fleurs, fontaines versant
l'hydromel et la bière, cadre d'étoffes armoriées, de manteaux de
velours, d'étendards de soie, d'éclatantes tapisseries.
De fait, avec les marchands drapiers et leurs étoffes teintes arri-
vèrent bientôt à la cour de Dijon des artistes des Pays-Bas. Il y vint
Melchior Brœderlam, peintre de retables dorés candide, mais déjà
ivre de couleur comme tout bon Flamand de Flandre. Il y vint Claus
Sluter, bon théologien, grand sculpteur, dont l'action vigoureuse allait
se faire sentir dans toute la France et l'Allemagne, pour avoir arraché
la forme au mur de la cathédrale et à la dalle du tombeau et s'être
porté en avant dans un mouvement de si rude et large éloquence que
Donatello et Michel-Ange eux-mêmes en seront ébranlés. Il était
d'ailleurs à ce moment-là, dans le Nord, le seul digne de la victoire,
par sa force d'individu, sa décision à caractériser dans une figure
• — 108 —
L'architecture française y a pris plus tard un caractère d'abondance,
de luxe, de matérialité très éloigné de l'idéal champenois, parisien ou
picard, et quand la sculpture des tombeaux s'y développe comme en
France, c'est avec un tout autre accent. Ils ne sont plus les pures, les
graves et fines effigies qui s'allongent dans l'ombre presque impéné-
trable des caveaux, ils sont faits pour les chapelles réchauffées de
vitraux et de cierges avec leurs géants bleus couchés sur le marbre
noir et pleurés par les anges, leurs moines bien vêtus, bien nourris,
bien rentés, et parfois, comme dans le tombeau de Philippe Pot, leur
somptuosité funèbre, la force de guerrier tombé, le deuil des pleureurs
noirs dont les visages se cachent, la profondeur des rouges et des ors
dans l'obscurité rougeoyante. Quand les ducs de Bourgogne arrivent
à Dijon, le mouvement d'échange économique et intellectuel entre les
provinces flamandes et les provinces bourguignonnes se fait d'autant
plus actif qu'il existe, entre les tempéraments de leurs populations,
des affinités plus profondes. Même vie plantureuse, plus épaisse peut-
être en Flandre, où l'atmosphère est gorgée d'eau, la vie industrielle
concentrée dans les villes, pressée autour des métiers, enfoncée dans
la laine et le drap, abreuvée de bières pesantes, plus éloquente et fas-
tueuse en Bourgogne où le tapis serré des vignes s'étend, de Beaune
à Dijon, sur l'or sombre des coteaux, où les poitrines boivent plus d'air
et de soleil au milieu des ceps, où le vin rouge enflamme les visages,
inonde le sang de chaleur. Les fêtes populaires des Flamands, les
grosses fêtes lourdes où l'on mange et boit beaucoup, reconnaissent
leurs plaisirs essentiels, vêtus de velours, de brocart, de drap d'or
dans les galas brutaux de la cour de Dijon, entassements de nourri-
ture, étalage d'amours grossières, ripailles, beuveries, tournois, car-
rousels et cavalcades sur des jonchées de fleurs, fontaines versant
l'hydromel et la bière, cadre d'étoffes armoriées, de manteaux de
velours, d'étendards de soie, d'éclatantes tapisseries.
De fait, avec les marchands drapiers et leurs étoffes teintes arri-
vèrent bientôt à la cour de Dijon des artistes des Pays-Bas. Il y vint
Melchior Brœderlam, peintre de retables dorés candide, mais déjà
ivre de couleur comme tout bon Flamand de Flandre. Il y vint Claus
Sluter, bon théologien, grand sculpteur, dont l'action vigoureuse allait
se faire sentir dans toute la France et l'Allemagne, pour avoir arraché
la forme au mur de la cathédrale et à la dalle du tombeau et s'être
porté en avant dans un mouvement de si rude et large éloquence que
Donatello et Michel-Ange eux-mêmes en seront ébranlés. Il était
d'ailleurs à ce moment-là, dans le Nord, le seul digne de la victoire,
par sa force d'individu, sa décision à caractériser dans une figure
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