Universitätsbibliothek HeidelbergUniversitätsbibliothek Heidelberg
Überblick
Faksimile
0.5
1 cm
facsimile
Vollansicht
OCR-Volltext
des maternités prouvent que dorment sous l'écume de grandes épais-
seurs d'eau. Mais Bruges se meurt, la Flandre souffre. Ce sont des
fêtes extérieures et les yeux ne voient plus guère, dans les noirs et les
rouges qui dominent, de leurs notes sourdes et riches, la palpitation
des manteaux, des bannières et des tentures, que la couleur du deuil
et la couleur du sang.
Les dessous mystérieux de la vie flamande, que cachaient la bru-
talité des orgies seigneuriales et le faste des marchands, montent à la
surface de leur âme. La Flandre secrète et misérable des béguines et
du bas peuple a son tour. Les artistes ont assisté à « l'apparition de
l'ouvrier mystique, du lollard illuminé, du tisserand visionnaire,
échappé des caves, effaré du jour, pâle et hâve, comme ivre de
jeûne (i) ». On le voit sur les tableaux de Dierick Bouts, pleins de
figures ascétiques, violentes et malades, de personnages aplatis, de
têtes coupées, de sang répandu, de martyrs aimés, tristes et doux,
de bourreaux à faces hideuses, comme on en trouve aussi dans les
manuscrits du temps et dans la peinture souffrante de Jean Malouel,
venu des Pays-Bas pour s'installer dans le Paris misérable et ruiné de
la guerre anglo-française. La haine y domine, et l'amer regret de ne
pouvoir fuir l'enfer social pour se réfugier dans la campagne qu'il
adore, en bon Hollandais, les prés coupés de bois et de ruisseaux,
les lointains mamelonnés garnis de pâturages, la riche campagne
couverte de vapeurs bleuâtres dans les fonds où les villes crénelées
entassent les clochers et les tours.
Memling, tout au contraire, se résigne, l'amour l'emporte sur le
ressentiment, et le refuge intérieur de la béguine sur l'exaltation
furieuse du tisserand affamé. C'est l'agonie de Bruges. Il a promené sa
douceur mystique le long des canaux qui s'endorment, il a surveillé
sous leurs eaux la fuite des nuages pâles, il a suivi de l'œil les flottilles
errantes de feuilles que le vent disperse à leur surface, il a vu fleurir
des glycines qui tombent des murs pour la frôler, il a longuement erré
dans les cours des béguinages où se dépouillent les platanes, où, der-
rière la scintillation des mille vitres des façades, la vie s'éteint et
s'ouate de silence pour racheter dans l'égoïsme de la paix l'orgie de
matérialité, de couleur et de tumulte qui éclate depuis tant d'années
au dehors. Son œuvre principale est destinée à un hospice et peut-être
préfère-t-il aux vrais paysages flamands, les paysages où l'on s'enfonce
dans le grand air en marchant sur la terre grasse, et tout environné
de ciel, ceux qu'on parcourt en tournant les pages des évangéliaires,
les paysages précieux et fins où brillent des roses limpides et des bleus
(i) Michelet, Histoire de France.

— u6 —
 
Annotationen