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l'avenir qui caractérise ce siècle ne se sent pas en Jean Goujon, il en
a plus qu'aucun des autres l'humanité, la profonde et sainte tendresse
pour tout ce qui représente les forces de demain. A-t-on bien vu que
ces poètes de la femme étaient aussi des poètes de l'enfance? A-t-on
bien vu que les gothiques, dans leur force et leur vaillance à vivre,
avaient peu senti la gloire de l'enfant qui jaillissait des ventres mater-
nels comme une manifestation trop facile et trop répétée de leur vigueur
pour qu'ils songeassent à l'illustrer? A-t-on bien vu que leur amour
va à la femme mère, qu'ils s'attendrissent sur ses hanches inégales,
sur son bras fatigué par le poids qu'il porte plutôt que sur l'enfant
lui-même presque toujours inexpressif et quelconque qui repose sur
ce bras?
Les Italiens seuls, depuis leurs vieux maîtres, depuis Giovanni
Pisano, depuis Jacopo della Quercia et surtout Donatello et les della
Robbia s'étaient penchés sur l'enfance. Les peuples idéalistes sont
trop attachés à la beauté sensible pour ne pas la rechercher partout
où elle se trouve, ils sont trop tournés vers l'avenir pour ne pas l'aper-
cevoir dans l'être qui porte en lui son secret. Est-ce leur influence,
est-ce plutôt l'éveil de l'individualisme français, le désir d'enquête
générale qui saisit au xvie siècle le monde occidental? Mais Jean Gou-
jon aperçoit soudain la beauté de l'enfance, de l'enfance douillette
et potelée, mais Germain Pilon, le sculpteur savant qui ne pense guère
qu'à prouver qu'il sait son métier, à tailler dans la pierre les portraits
probes de ses rois, à dresser autour des urnes funéraires ou à allonger
sur les tombeaux de belles formes nues et pleines, sent le mystère d'une
face enfantine au front trop bombé, au nez trop petit, aux lèvres, aux
joues trop saillantes, le flottement délicieux qui la rend si imprécise,
mais Ligier Richier lui-même fuit l'enfer et la mort dès qu'il s'agit de
modeler un crâne rond comme une sphère et l'amas gras, tremblant,
le divin et fragile amas des chairs enfantines, gonflées de sang et de
lait. Une des faces de ce temps où l'espoir en la vie du monde germait
sur un monceau de chairs suppliciées et de miasmes malsains.
La fin des guerres italiennes, la fin des guerres civiles, le triomphe
définitif de la monarchie jusqu'alors agissante et combattante malgré
sa décomposition morale et son faste, devaient faire perdre à l'art
français renouvelé par l'influence romaine et le contact des bois et
des rivières son accent particulier. Le roi s'installe au Louvre de Pierre
Lescot et de Ghambiges. L'artiste, qui l'y suit, lit Malherbe au lieu
de Ronsard, la rue parisienne et Rabelais lui semblent fort grossiers
quand il a vu les palais de Rome et de Venise, la Sixtine de Michel-
Ange, les Chambres de Raphaël. La chute sera aussi rapide que l'ascen-
sion fut vigoureuse, et les artistes qui marqueront le passage de la libre

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