Universitätsbibliothek HeidelbergUniversitätsbibliothek Heidelberg
Metadaten

Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 2.Pér. 13.1876

DOI issue:
Nr. 1
DOI article:
Mézières, Alfred Jean François: Michel-Ange: poète
DOI Page / Citation link: 
https://doi.org/10.11588/diglit.21843#0217

DWork-Logo
Overview
loading ...
Facsimile
0.5
1 cm
facsimile
Scroll
OCR fulltext
206

GAZETTE DES BEAUX-ARTS.

poésies, inspirèrent à Michel-Ange une sympathie respectueuse. Il lui
écrivit, elle répondit avec le sentiment d’admiration que méritaient les
œuvres d’un si grand homme, et de cette correspondance naquit un
commencement d’amitié qui se transforma en amour lorsque Michel-
Ange connut personnellement une des plus célèbres beautés de ce siècle.

Ce fut par les yeux que l’amour pénétra dans son cœur. En artiste
amoureux des belles formes, il s’éprit de la pureté des lignes et des
proportions harmonieuses d’un visage admirable, digne de la Minerve
antique1. Quoique Vittoria Colonna eût vraisemblablement plus de qua-
rante ans lorsqu’il la vit pour la première fois, il trouva en elle le type
le plus noble qu’il eût encore rencontré. Son admiration pour tant de
beauté s’exprima dans plusieurs sonnets et ne parut même pas s’affaiblir
avec l’âge. Aucun désir sensuel, aucune pensée de volupté, ne se mêlent
à cet amour pur et grave. Michel-Ange avait des habitudes de chasteté
dont témoignent ses contemporains. « Je l’ai souvent entendu, écrit
Condivi, raisonner et discourir sur l’amour et j’ai appris des personnes
présentes qu’il n’en parlait pas autrement que d’après ce qui se lit dans
Platon. Je ne sais pas ce que dit Platon, mais je sais bien qu’ayant long-
temps et très-intimement pratiqué Michel-Ange, ainsi que je l’ai fait, je
n’ai jamais entendu sortir de sa bouche que des paroles très-honnêtes et
capables de réprimer les désirs déréglés et sans frein qui pourraient
naître dans le cœur des jeunes gens2. »

A plus forte raison, lorsqu’il fut avancé en âge, ne pouvait-il aimer
que purement une femme qui n’était plus jeune. S’il voit avec des yeux
d’artiste les beaux traits de Vittoria Colonna, ses blonds cheveux entre-
lacés de fleurs, le ferme modelé de sa poitrine et l’élégance de sa taille,
il ne s’arrête à cette contemplation extérieure que pour s’élever bientôt
dans une région plus haute, dans le monde idéal de la beauté souve-
raine. La doctrine platonicienne de l’amour, telle que Dante l’a reçue
de saint Augustin et de Boëce, reparaît ici avec plus de précision et moins
de mysticisme que chez Dante. L’imagination de Michel-Ange, accou-
tumée à l’étude des réalités sensibles, nous fait mieux suivre les anneaux
de la chaîne qui unit le réel à l’idéal. Par delà les plus beaux visages
ou la réunion des plus belles personnes, il aperçoit d’un œil sûr, par un

Il aimait la beauté du corps, comme quelqu’un qui la connaît admirablement, dit
Condivi, Vita cti Michelagnolo Buonarroti, p. 65. La Gazette des Beaux-Arts a
publié, le Ier janvier 1875, un portrait de Vittoria Colonna, d’après un dessin conservé
aux Offices de Florence, mais, d’un avis à peu près général, ce portrait n’est pas celui
de Vittoria Colonna.

2. Vita di Michelagnolo Buonarroti, p. 65.
 
Annotationen