LES ARTISTES BELGES
ALFRED HUBERT
La volupté des critiques d’art sera toujours
de s’égarer dans la profondeur des portefeuilles à
la recherche des chères images que sème sur le
papier la fantaisie des peintres. Parmi les feuilles
volantes des cartons et les pages mieux fixées des
albums, il en est de sabrées et de balafrées comme
des champs de trèfle labourés par le passage
d’une cavalerie : le crayon a écorché le papier
de grands traits semblables à des meurtrissures,
et le réseau des hachures laisse percer péniblement la face énigmatique
de la chimère : on devine une poursuite inexorable, de grands combats,
le débrouillement progressif d’une genèse encore confuse. Mais à côté
de celles-là, il en est d’autres où la main, déjà plus posée, a établi des
assises, marqué les circonscriptions de l’idée, discipliné le rêve; et la
création, dégagée de ses limbes, commence à y apparaître. L’ensemble
de toutes ces choses constitue la vie intime, ignorée souvent, de l’ar-
tiste ; c’est la demeure inaccessible, le tréfonds où il se prépare, où le
public ne pénètre jamais, quelque chose comme la coulisse du théâtre
ALFRED HUBERT
La volupté des critiques d’art sera toujours
de s’égarer dans la profondeur des portefeuilles à
la recherche des chères images que sème sur le
papier la fantaisie des peintres. Parmi les feuilles
volantes des cartons et les pages mieux fixées des
albums, il en est de sabrées et de balafrées comme
des champs de trèfle labourés par le passage
d’une cavalerie : le crayon a écorché le papier
de grands traits semblables à des meurtrissures,
et le réseau des hachures laisse percer péniblement la face énigmatique
de la chimère : on devine une poursuite inexorable, de grands combats,
le débrouillement progressif d’une genèse encore confuse. Mais à côté
de celles-là, il en est d’autres où la main, déjà plus posée, a établi des
assises, marqué les circonscriptions de l’idée, discipliné le rêve; et la
création, dégagée de ses limbes, commence à y apparaître. L’ensemble
de toutes ces choses constitue la vie intime, ignorée souvent, de l’ar-
tiste ; c’est la demeure inaccessible, le tréfonds où il se prépare, où le
public ne pénètre jamais, quelque chose comme la coulisse du théâtre