LES DONATIONS ET LES ACQUISITIONS DU LOUVRE.
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renommée: il s’habillait à la turque et laissait croître sa barbe, comme
Jean-Jacques. Auprès cle nos peintres modestes et casaniers, tous tapis
au Louvre ou aux Gobelins, ce maître tapageur semblait un capitan de
comédie. Il était brusque d’allures, étrange dans son parler, plein de
théories bizarres, et par-dessus tout, vaniteux comme un Genevois. Mais
sa vie agitée, ses équipées à travers le monde ne devaient guère servir
sa mémoire, et, sans la Belle Chocolatière du Musée de Dresde, le tur-
ban et la barbe de Mahomet n’auraient point sauvé de l’oubli le peintre
turc. Ses pastels, tant vantés par ses contemporains et ses compatriotes,
n’égalent pas le moindre ouvrage d’un élève de Perronneau. La finesse
de ses miniatures le place, au contraire, parmi les plus habiles conti-
nuateurs de Petitot, et l’on doit attribuer à son éducation première, à
l’influence de son vieux maître de Genève l’extrême dextérité de ses
doigts, comme aussi sa méthode d’arrangement. Les leçons de Massé
et l’air de Paris donnèrent le tour aimable , le sourire invisible des
touches, mais la science manuelle de cet art lui était familière dans
ses plus délicates formules avant même son départ pour la France. Les
dessins de ce maître, et principalement les sanguines venues au Louvre
dernièrement, sont de vraies études de miniaturiste ; les visages des
personnages paraissent surtout des préparations pour miniature, et l’on
devine là le charme si précieux de ses petits ouvrages terminés. Il traite
les costumes et les mains avec moins de souci, mais en essayant de pas-
ticher le faire de Watteau, un faire gras et libre.
L’acquisition des trente dessins de Liotard fut bientôt suivie au Musée
d’une importante nouveauté. Dans le choix de peintures et de sculptures
cédées à l’État par la veuve du peintre Timbal, M. de Tauzia obtenait, au
prix de vingt-cinq mille francs, un croquis de Raphaël, la Vierge, l’En-
fant, saint Sébastien et saint Rock. D’une plume exquise et toute pérugi-
nesque, le Santi a profilé sur ce feuillet-là une madone et deux saints
d’une juvénilité de formes vraiment adorable. « Un dessin, écrit M. de
Tauzia dans le Catalogue Timbal, un dessin également à la plume, à
l’Institut Staedel de Francfort, offre une analogie frappante avec la Vierge,
l'Enfant, saint Sébastien et saint Boch. Sans modifier sa composition, le
maître a substitué saint Nicolas de Tolentino à saint Sébastien ; quant au
second assistant, il ne l’a pas indiqué dans le dessin de Francfort. La
Madone de la maison Ansidei, peinte par Raphaël en 1505, aujourd’hui
dans la galerie du duc de Malborough, au château de Blenheim, se rap-
proche mieux que toute autre, par la disposition de la scène, le nombre
et l’attitude des personnages, des deux admirables études des collections
Timbal et Stædel. » Cette note savante indique la destination de ces pre-
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renommée: il s’habillait à la turque et laissait croître sa barbe, comme
Jean-Jacques. Auprès cle nos peintres modestes et casaniers, tous tapis
au Louvre ou aux Gobelins, ce maître tapageur semblait un capitan de
comédie. Il était brusque d’allures, étrange dans son parler, plein de
théories bizarres, et par-dessus tout, vaniteux comme un Genevois. Mais
sa vie agitée, ses équipées à travers le monde ne devaient guère servir
sa mémoire, et, sans la Belle Chocolatière du Musée de Dresde, le tur-
ban et la barbe de Mahomet n’auraient point sauvé de l’oubli le peintre
turc. Ses pastels, tant vantés par ses contemporains et ses compatriotes,
n’égalent pas le moindre ouvrage d’un élève de Perronneau. La finesse
de ses miniatures le place, au contraire, parmi les plus habiles conti-
nuateurs de Petitot, et l’on doit attribuer à son éducation première, à
l’influence de son vieux maître de Genève l’extrême dextérité de ses
doigts, comme aussi sa méthode d’arrangement. Les leçons de Massé
et l’air de Paris donnèrent le tour aimable , le sourire invisible des
touches, mais la science manuelle de cet art lui était familière dans
ses plus délicates formules avant même son départ pour la France. Les
dessins de ce maître, et principalement les sanguines venues au Louvre
dernièrement, sont de vraies études de miniaturiste ; les visages des
personnages paraissent surtout des préparations pour miniature, et l’on
devine là le charme si précieux de ses petits ouvrages terminés. Il traite
les costumes et les mains avec moins de souci, mais en essayant de pas-
ticher le faire de Watteau, un faire gras et libre.
L’acquisition des trente dessins de Liotard fut bientôt suivie au Musée
d’une importante nouveauté. Dans le choix de peintures et de sculptures
cédées à l’État par la veuve du peintre Timbal, M. de Tauzia obtenait, au
prix de vingt-cinq mille francs, un croquis de Raphaël, la Vierge, l’En-
fant, saint Sébastien et saint Rock. D’une plume exquise et toute pérugi-
nesque, le Santi a profilé sur ce feuillet-là une madone et deux saints
d’une juvénilité de formes vraiment adorable. « Un dessin, écrit M. de
Tauzia dans le Catalogue Timbal, un dessin également à la plume, à
l’Institut Staedel de Francfort, offre une analogie frappante avec la Vierge,
l'Enfant, saint Sébastien et saint Boch. Sans modifier sa composition, le
maître a substitué saint Nicolas de Tolentino à saint Sébastien ; quant au
second assistant, il ne l’a pas indiqué dans le dessin de Francfort. La
Madone de la maison Ansidei, peinte par Raphaël en 1505, aujourd’hui
dans la galerie du duc de Malborough, au château de Blenheim, se rap-
proche mieux que toute autre, par la disposition de la scène, le nombre
et l’attitude des personnages, des deux admirables études des collections
Timbal et Stædel. » Cette note savante indique la destination de ces pre-