Universitätsbibliothek HeidelbergUniversitätsbibliothek Heidelberg
Metadaten

Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 2.Pér. 29.1884

DOI Heft:
Nr. 3
DOI Artikel:
Chantelou, Paul Fréart de; Lalanne, Ludovic [Hrsg.]: Journal du voyage du cavalier Bernin en France, [22]
DOI Seite / Zitierlink:
https://doi.org/10.11588/diglit.24585#0277

DWork-Logo
Überblick
Faksimile
0.5
1 cm
facsimile
Vollansicht
OCR-Volltext
JOURNAL DU VOYAGE DU CAVALIER BERNIN EN FRANGE. 263

grand faire, mais il a trouvé dans cet ouvrage diverses parties estropiées, des
mains mal dessinées. Il a dit que la Madeleine qui est aux pieds de Notre-
Seigneur était peinte avec un relief merveilleux, mais qu’elle n’était nulle-
ment bien dessinée depuis la ceinture en bas, que la jambe du Christ qui est
proche est toute de travers, et son bras et sa main droite encore estropiés.
11 a surtout admiré une figure assise à table auprès du Christ que l’on ne voit
que par derrière. M. Le Brun m’a fait remarquer qu’il y a dans le tableau
divers points de vue, et que l’horizon est plus bas que la table, et qu’on en
voit néanmoins le dessus, que les architectures ne couraient pas à cet hori-
zon, et a dit que ce n’était pas Paul Véronèse qui les faisait. 11 a dit que le
Roi, voyant ce tableau, avait loué la figure de la Madeleine et irouvé la partie
droite du tableau bien plus belle que l’autre, ce qui est la vérité. L’on a vu
ensuite un autre tableau de Paul Véronèse, qui a été à M. Fouquet, où est
peinte une Andromède secourue par Persée1, lequel est bien peint comme le
sont la plupart des ouvrages de ce peintre; mais le Cavalier a trouvé que le
Persée est dans une étrange posture et comme en un monceau. J’ai montré
une jambe gauche de l’Andromède qui m’a semblé fort mal dessinée.

Le Cavalier a tiré Le Brun à part et lui a donné quelque avis, et puis lui
a dit : « Je n’ai pas feint1 2 de vous le dire, car un homme qui, de vingt par-
ties en possède dix-huit, l’on le peut avertir de ce que l’on voit, mais qu’à
ceux à qui de vingt il en manque dix-huit, l’on n’a rien à leur dire; qu’An-
nibal Carrache avait raison de dire souvent : E a chi sa che bisogna dire, no
a chi non sa3. » Il a dit qu’un sculpteur assez habile, ayant un jour prié
Michel-Ange Buonarotti de venir voir chez lui une figure qu’il avait faite,
pendant qu’il la considérait, le jour n’étant pas tel que ce sculpteur l’eût
désiré, il faisait tantôt fermer une fenêtre, tantôt en ouvrir une autre, et ne
trouvait pas, à cause du soleil, une lumière comme il eût désiré pour éclairer
sa figure selon son gré; ce que Michel-Ange voyant, lui dit : « 11 n’y a point
de meilleur jour que la place4; ce sera là qu’on verra et qu’on dira si elle
sera bien. »

L’on a fait voir au Cavalier des dessins d’un jeune garçon de onze ans,
d’après le Triomphe d'Alexandre, qu’il a trouvés fort bien, et s’est étonné
qu’à cet âge il fût si avancé. L’on lui a fait apporter des desseins de son in-
vention, dont il a encore été plus émerveillé. Il a dit qu’il fallait l’aider, l’en-
voyer en Italie et l’y faire demeurer neuf ou dix ans. Ce jeune garçon ayant
fait voir ensuite de ses académies, le Cavalier a dit : « Cela gâte les jeunes
gens de les faire dessiner si tôt d’après nature, n’étant pas encore capables
de choisir le beau dans le naturel et de laisser le laid, outre que les modèles
de ce pays-ci sont faibles. » Il faudrait, a-t-il dit, que le Roi en fît venir et
qu’on en choisît parmi des esclaves du Levant. » Il a dit que les Grecs ont
les corps les mieux formés; que l’on en peut acheter, et, s’étant tourné vers
moi, il m’a dit qu’il s’était oublié de mettre cela dans son mémoire pour

1. Cette toile a été envoyée, sous le premier empire, au musée de Rennes où elle se
trouve probablement encore aujourd’hui.

2. Je n’ai pas craint.

3. « C’est à celui qui sait à qui il faut dire, non à celui qui ne sait pas. »

4. C’est-à-dire : la place où l’ouvrage devait être mis.
 
Annotationen