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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
mêmes qui se fixaient à Berlin s’engageaient par contrat à ne travailler que pour la
cour. D’ailleurs, jusqu’à Frédéric II, la décoration murale se composait presque
exclusivement de tapisseries de haute lice que le luxe de ces temps préférait aux plus
renommés tableaux; la riche et massive argenterie, les porcelaines de l’extrême Orient,
entassées avec profusion, avaient aussi le pas sur les productions de la peinture ou
de la sculpture. Un réfugié français, J. Mercier, fut autorisé à créer une sorte de suc-
cursale des Gobelins dans l’aile droite des écuries royales; il eut des successeurs qui
s’essayèrent surtout dans les tapisseries du genre Watteau, dont ils ornèrent les rési-
dences de Charlottenbourg et de Potsdam.
Le premier particulier qui ait formé une collection en Prusse est le célèbre ama-
teur Gotzkowski, dont la ga'erie comprenait trois cent soixante numéros; en 1763,
ruiné, il offrit de la vendre à Frédéric II, qui ne put Tacheter, appauvri par la guerre
de Sept ans. La galerie Gotzkowski fut acquise par la Russie et aujourd’hui encore elle
orne l’Ermitage. Vers la fin du règne de Frédéric II, le nombre des 'amateurs aug-
menta, le roi donnant l’exemple; mais Jes particuliers, au lieu départager la préférence
du maître pour les artistes français, se tournèrent pluLôt vers l’école hollandaise, plus
appropriée au goût allemand. Alors et sous les successeurs de Frédéric II se formèrent
les cabinets César et Ivamecke, — ce dernier riche de deux Rembrandt, qui sont aujour-
d’hui chez le comte Lanckoronski à Vienne et dont l’un, la Fiancée juive, a été si
fidèlement copié par M. Paul Dubois, — les collections Glume, Chodowiecky, celles du
banquier Daum, qui possédait des œuvres complets de peintres-graveurs, du médecin
Mohsen, abondante en tableaux allemands ou flamands — (on y vantait des Durer et
des Holbein (?) — enfin celle du chambellan Keith, ami des maîtres italiens.
Le goût prononcé de Frédéric-Guillaume III pour les arts, l’acquisition des gale-
ries Giustiniani et Solly, la construction du musée de Berlin ont depuis imprimé un
assez vif élan à l’activité des collectionneurs. La petite bourgeoisie se mit de la
partie; des ventes retentissantes entretinrent le feu sacré; et toujours on rechercha
les petits maîtres flamands et hollandais. Aujourd’hui, les deux principales collec-
tions privées sont celles du comte Raczyncki, qui vient de passer sous la gérance de
l’État et par suite n’a pas été mise à contribution pour l’exposition de 1883, et celle
du comte Redern, qui a fourni à cette exposition un très précieux appoint.
Entre ces galeries toutes privées et les musées officiels se placent les collections
personnelles de la famille royale, entièrement distinctes des propriétés nationales. La
première de ces collections nous reporte jusqu’au temps du grand-électeur dont la
femme, Louise-Henriette d’Orange, peignait avec succès. Mais le grand-électeur,
poussé à certains achats par des conseillers peu scrupuleux ou peu éclairés, acquit
trop de morceaux d’une authenticité douteuse, attribués aux plus grands maîtres
et sortis le plus souvent d’ateliers de faussaires contemporains. C’est ainsi qu’une
tète de Christ longtemps donnée à Raphaël et considérée comme le joyau de la gale-
rie de Berlin, n’est qu’un mauvais pastiche d’un Néerlandais inconnu. En 1671, un
peintre marchand d’Amsterdam, Gerrit Uijlenborch, propose au grand-électeur l’achat
de treize tableaux des plus grands maîtres italiens. Le prince envoie à Amsterdam,
pour juger de la valeur des œuvres proposées, les généraux (!) v. Spaen et v. Chiese.
Ceux-ci concluent le marché avec cette sage réserve que les chefs-d’œuvre seront ren-
dus à Uijlenborch s’ils ne sont pas agréés par le grand-électeur. Les treize toiles
ai rivent à Berlin par la voie de Hambourg. Fromantiou, peintre ordinaire de la cour
et conseiller de Frédéric-Guillaume en matière d’art, les juge mauvaises et de nulle
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
mêmes qui se fixaient à Berlin s’engageaient par contrat à ne travailler que pour la
cour. D’ailleurs, jusqu’à Frédéric II, la décoration murale se composait presque
exclusivement de tapisseries de haute lice que le luxe de ces temps préférait aux plus
renommés tableaux; la riche et massive argenterie, les porcelaines de l’extrême Orient,
entassées avec profusion, avaient aussi le pas sur les productions de la peinture ou
de la sculpture. Un réfugié français, J. Mercier, fut autorisé à créer une sorte de suc-
cursale des Gobelins dans l’aile droite des écuries royales; il eut des successeurs qui
s’essayèrent surtout dans les tapisseries du genre Watteau, dont ils ornèrent les rési-
dences de Charlottenbourg et de Potsdam.
Le premier particulier qui ait formé une collection en Prusse est le célèbre ama-
teur Gotzkowski, dont la ga'erie comprenait trois cent soixante numéros; en 1763,
ruiné, il offrit de la vendre à Frédéric II, qui ne put Tacheter, appauvri par la guerre
de Sept ans. La galerie Gotzkowski fut acquise par la Russie et aujourd’hui encore elle
orne l’Ermitage. Vers la fin du règne de Frédéric II, le nombre des 'amateurs aug-
menta, le roi donnant l’exemple; mais Jes particuliers, au lieu départager la préférence
du maître pour les artistes français, se tournèrent pluLôt vers l’école hollandaise, plus
appropriée au goût allemand. Alors et sous les successeurs de Frédéric II se formèrent
les cabinets César et Ivamecke, — ce dernier riche de deux Rembrandt, qui sont aujour-
d’hui chez le comte Lanckoronski à Vienne et dont l’un, la Fiancée juive, a été si
fidèlement copié par M. Paul Dubois, — les collections Glume, Chodowiecky, celles du
banquier Daum, qui possédait des œuvres complets de peintres-graveurs, du médecin
Mohsen, abondante en tableaux allemands ou flamands — (on y vantait des Durer et
des Holbein (?) — enfin celle du chambellan Keith, ami des maîtres italiens.
Le goût prononcé de Frédéric-Guillaume III pour les arts, l’acquisition des gale-
ries Giustiniani et Solly, la construction du musée de Berlin ont depuis imprimé un
assez vif élan à l’activité des collectionneurs. La petite bourgeoisie se mit de la
partie; des ventes retentissantes entretinrent le feu sacré; et toujours on rechercha
les petits maîtres flamands et hollandais. Aujourd’hui, les deux principales collec-
tions privées sont celles du comte Raczyncki, qui vient de passer sous la gérance de
l’État et par suite n’a pas été mise à contribution pour l’exposition de 1883, et celle
du comte Redern, qui a fourni à cette exposition un très précieux appoint.
Entre ces galeries toutes privées et les musées officiels se placent les collections
personnelles de la famille royale, entièrement distinctes des propriétés nationales. La
première de ces collections nous reporte jusqu’au temps du grand-électeur dont la
femme, Louise-Henriette d’Orange, peignait avec succès. Mais le grand-électeur,
poussé à certains achats par des conseillers peu scrupuleux ou peu éclairés, acquit
trop de morceaux d’une authenticité douteuse, attribués aux plus grands maîtres
et sortis le plus souvent d’ateliers de faussaires contemporains. C’est ainsi qu’une
tète de Christ longtemps donnée à Raphaël et considérée comme le joyau de la gale-
rie de Berlin, n’est qu’un mauvais pastiche d’un Néerlandais inconnu. En 1671, un
peintre marchand d’Amsterdam, Gerrit Uijlenborch, propose au grand-électeur l’achat
de treize tableaux des plus grands maîtres italiens. Le prince envoie à Amsterdam,
pour juger de la valeur des œuvres proposées, les généraux (!) v. Spaen et v. Chiese.
Ceux-ci concluent le marché avec cette sage réserve que les chefs-d’œuvre seront ren-
dus à Uijlenborch s’ils ne sont pas agréés par le grand-électeur. Les treize toiles
ai rivent à Berlin par la voie de Hambourg. Fromantiou, peintre ordinaire de la cour
et conseiller de Frédéric-Guillaume en matière d’art, les juge mauvaises et de nulle