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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 2.Pér. 29.1884

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Nr. 4
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Michel, André: Exposition des dessins du siècle, 2
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https://doi.org/10.11588/diglit.24585#0335

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EXPOSITION DES DESSINS DU SIÈCLE.

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du martyr, et dites si vous éprouvez devant cette composition de
style la même plénitude de contentement, de sympathie et d’admira-
tion ?

Et cependant, ces crayons Ingres les reniait presque. Charles Blanc a
raconté comment au salon des Arts-Unis 1, il faillit faire publiquement
une scène aux amis qui en parlaient avec trop d’enthousiasme, et dans
quel emportement d’indignation il ferma la porte au nez d’un malheu-
reux Anglais venant sonner chez lui avec cette question : « Est-ce ici que
demeure le dessinateur de petits portraits ? » —Ingres préféra toujours
son talent de peintre d’histoire et de violoniste.

S’il suffit de voir ses dessins pour comprendre qu’ils ont épuisé tout
ce qu’il avait à nous dire sur la nature et sur la vie, un seul regard jeté
sur ceux de Delacroix — quelque incomplète et négligemment préparée
qu’ait été son exposition — nous avertit que nous entrons dans un autre
monde et dans un autre idéal. Il se révèle coloriste dans ses moindres
ébauches. Ingres, avec une précision magistrale, une admirable science et
sûreté de main, sans un sous-entendu, a fixé l’image ne varietur • Dela-
croix l’évoque. Il voit, comme dans une sorte d’apparition, les épais-
seurs, les reliefs des corps vivant dans une atmosphère vibrante, dont on
ne saurait les abstraire, les lumières sur les contours, les dégradations
des ombres glissantes et des reflets ; il les voit ainsi non par une opéra-
tion systématique de son esprit, mais par une disposition naturelle de
son œil ; elles s’imposent à son observation, elles l’obsèdent, pourrait-on
dire, et, armée du seul crayon, sa main enfiévrée en poursuit déjà la
notation ; par un simple trait, tantôt délié, tantôt élargi et « engraissé2 »,
tantôt interrompu et comme disparaissant sous le relief, tantôt acharné,
redoublé et repris, il fait sortir par grandes masses et par larges morceaux
les diverses parties d’un corps ou d’une scène dont son œil embrasse
l’ensemble et qu’il lui serait parfaitement impossible — avec la qualité
de sa vision — d’emprisonner en un contour tyrannique et précis. Lui
reprocher de n’avoir pas une calligraphie tranquille, c’est lui reprocher
d’être Delacroix et ne rien comprendre à son génie.

C’est un évocateur et un poète. « Si je ne suis pas agité, disait-il,
comme le serpent dans la main de la Pythonisse, je suis froid : il faut le
reconnaître et s’y soumettre. » Parmi les dessins exposés, le Combat dans
la fosse entre Ilamlel et Laerte est particulièrement suggestif et nous

4. Sur cette exposition, voir le magistral article de M. le vicomte Henri Delaborde,
dans la Gazette, t. IX, p. 257 et suiv.

2. Voir, dans les Impressions et souvenirs de G. Sand, une curieuse conversation
de Delacroix à propos de la Stratonice d’Ingres.
 
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