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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 2.Pér. 29.1884

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Nr. 4
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Michel, André: Exposition des dessins du siècle, 2
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https://doi.org/10.11588/diglit.24585#0340

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EXPOSITION DES DESSINS DU SIÈCLE.

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au contraire, ces parias des jurys d’il y a trente-cinq ans et moins encore
nous parlent aujourd’hui!

Rousseau sait, avec l’aide du seul crayon, noter et faire sentir Y har-
monie d’un paysage : les arbres s’étalent dans l’air qui les nourrit, ils
offrent à la lumière qui les enveloppe leurs rameaux frissonnants (voir
l’étude de Chênes dans les Landes et la Lisière du Bas-Bréau). « Si l’on
peut contester qu’ils pensent, disait Th. Rousseau, à coup sûr ils nous
donnent à penser, et en retour... nous leur devons... non l’arrogante
maîtrise et le style pédant et classique, mais toute la sincérité d’une atten-
tion reconnaissante dans la reproduction de leurs êtres, pour la puissante
action qu’ils exercent en nous. » Et il faut voir comme il est entré dans
l’intimité de ces amis silencieux, qu’il comprenait si bien et qui lui ont
versé tant de pensées sereines et d’augustes consolations.

Parmi tous ses dessins exposés à l’Ecole des Reaux-Arts, le Pêcheur
(n° 635) surtout est un précieux chef-d’œuvre. C’est, par une matinée
heureuse, entre deux rives plates jalonnées de quelques arbres au feuil-
lage clair, la promenade d’un cours d’eau sous le ciel léger, dans la
lumière doucement épandue et joyeuse. Une aménité pénétrante enve-
loppe la nature : à l’horizon bas, le soleil, légèrement rehaussé de quelques
notes au pastel, pointe ses rayons roses reflétés par l’eau transparente.
Le paysage est d’une profondeur, l’atmosphère d’une limpidité et les
terrains d’une solidité qui confondent, si l’on examine la simplicité du
travail. On essaye de surprendre le procédé : il est bien simple et con-
siste à mettre chaque chose en sa place. « Notre ait ne peut atteindre

au pathétique que par la sincérité, disait le maître... il y a composition

quand les objets représentés ne le sont pas pour eux-mêmes, mais en
vue de contenir, dans une apparence naturelle, les échos qu’ils ont
éveillés dans nos âmes. » — On aime à rapprocher de telles œuvres
de pareilles paroles ; elles sont comme un double et profond ensei-
gnement.

J.-F. Millet a, lui aussi, le don de la sincérité et de l’émotion. Il a la
religion de la nature, la langue sévère et grave d’un solitaire qui a

peu fréquenté les boulevards, n’a jamais eu d’esprit (les arbres ne font

pas de calembours, écrivait-il) et a appris à lire sur les genoux d’une
mère janséniste, dans la bible qui fut toujours sa lecture préférée : il
aimait la terre et les paysans qui peinent sur elle d’une naïve et pro-
fonde tendresse ; il s'est plu à transformer ces rustres en héros doulou-
reux de l’éternel labeur; de leur bouche aux grosses lèvres entr’ouvertes,
de leur visage où la pensée semble mort-née, il a fait sortir le « cri de
la terre » et dans la vérité tragique du portrait, il a mêlé le rayon-
 
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