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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
seconde Renaissance est la part de l’humanisme, dont la découverte plus complète do
l’antiquité assure la victoire. »
Ainsi de ce mouvement est né le bon siècle, le siècle cl’or de la langue italienne,
celui de Dante, de Pétrarque et de Boccace, les plus éloquents écrivains de l’Italie,
ceux qui emploient la langue la plus suave, la plus délicate, la plus naïve, la plus
vivante, la plus pure que peuple ait jamais parlée. La péninsule a ses Ire luminari, ses
tre corone. Mais il me semble alors que ce primo Rinascimenlo, avec les noms
radieux qui le constellent, a plus fait à lui seul pour la gloire des lettres que ne feront
les siècles qui vont suivre. L’humanisme même, quand il aura pris possession de
l’antiquité tout entière, n’ira ni si haut ni si loin : le génie de l’Italie est là. J’ai parlé
de la passion de savoir chez les gens du xve siècle. Est-ce donc que l’ardeur d’apprendre
fut moins grande aux époques antérieures? Partout des universités; au v® siècle, Bo-
logne a la sienne : elle s’ouvre aux étudiants nationaux et étrangers ; un serment lie
les professeurs; ils ne peuvent quitter leur chaire sous peine de mort. Ai-je à citer
Mantoue, Paris, Oxford, la France, l’Allemagne, l’Angleterre. Les chaires se fondent
de toutes parts; la jeunesse s’en va « suer aux écoles », suivant une expression d’un
Germain du Xe siècle. On apprend la jurisprudence, on fouille la science antique; la
présence de tel ou tel docteur en renom fait la fortune d’une cité, son absence la
ruine : le prince retient le professeur célèbre au prix des plus grands sacrifices d’ar-
gent. Le génie humain s’épuise, il est vrai, dans la scolastique, impuissant à ren-
verser les murs dans lesquels il s’emprisonne, mais il se dégage enfin de ces études
stériles et se reprend à l’antiquité; on sait le latin, on sait le grec; on a conservé des
manuscrits d’Aristote et de Platon. Il y a des écoles de grec à Rome, à Ravenne, à
Naples. Le concile de Vienne prescrit l’étude du grec dans quelques universités de
l’Italie. Pétrarque affirme, il est vrai, que dans toute la péninsule dix hommes à peine
étaient capables de lire un manuscrit grec. Pourtant, c’était une langue dont Ja con-
naissance pratique était singulièrement entretenue en Italie pendant le moyen âge.
Venise domine sur le monde hellénique, elle a une partie de Constantinople; elle a
la Grèce, elle a les îles, elle a Chypre. On comprend le grec à Naples; la proximité de
la Sicile en fait une langue familière. Le grec ne s’est pas éteint dans Plie. La Sicile
a été arrachée aux Grecs par Mohammed ben el Djaouar, le général des Aghlabites ;
elle a conservé sa langue : les Normands se sont emparés de la Sicile sur les Arabes ;
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
seconde Renaissance est la part de l’humanisme, dont la découverte plus complète do
l’antiquité assure la victoire. »
Ainsi de ce mouvement est né le bon siècle, le siècle cl’or de la langue italienne,
celui de Dante, de Pétrarque et de Boccace, les plus éloquents écrivains de l’Italie,
ceux qui emploient la langue la plus suave, la plus délicate, la plus naïve, la plus
vivante, la plus pure que peuple ait jamais parlée. La péninsule a ses Ire luminari, ses
tre corone. Mais il me semble alors que ce primo Rinascimenlo, avec les noms
radieux qui le constellent, a plus fait à lui seul pour la gloire des lettres que ne feront
les siècles qui vont suivre. L’humanisme même, quand il aura pris possession de
l’antiquité tout entière, n’ira ni si haut ni si loin : le génie de l’Italie est là. J’ai parlé
de la passion de savoir chez les gens du xve siècle. Est-ce donc que l’ardeur d’apprendre
fut moins grande aux époques antérieures? Partout des universités; au v® siècle, Bo-
logne a la sienne : elle s’ouvre aux étudiants nationaux et étrangers ; un serment lie
les professeurs; ils ne peuvent quitter leur chaire sous peine de mort. Ai-je à citer
Mantoue, Paris, Oxford, la France, l’Allemagne, l’Angleterre. Les chaires se fondent
de toutes parts; la jeunesse s’en va « suer aux écoles », suivant une expression d’un
Germain du Xe siècle. On apprend la jurisprudence, on fouille la science antique; la
présence de tel ou tel docteur en renom fait la fortune d’une cité, son absence la
ruine : le prince retient le professeur célèbre au prix des plus grands sacrifices d’ar-
gent. Le génie humain s’épuise, il est vrai, dans la scolastique, impuissant à ren-
verser les murs dans lesquels il s’emprisonne, mais il se dégage enfin de ces études
stériles et se reprend à l’antiquité; on sait le latin, on sait le grec; on a conservé des
manuscrits d’Aristote et de Platon. Il y a des écoles de grec à Rome, à Ravenne, à
Naples. Le concile de Vienne prescrit l’étude du grec dans quelques universités de
l’Italie. Pétrarque affirme, il est vrai, que dans toute la péninsule dix hommes à peine
étaient capables de lire un manuscrit grec. Pourtant, c’était une langue dont Ja con-
naissance pratique était singulièrement entretenue en Italie pendant le moyen âge.
Venise domine sur le monde hellénique, elle a une partie de Constantinople; elle a
la Grèce, elle a les îles, elle a Chypre. On comprend le grec à Naples; la proximité de
la Sicile en fait une langue familière. Le grec ne s’est pas éteint dans Plie. La Sicile
a été arrachée aux Grecs par Mohammed ben el Djaouar, le général des Aghlabites ;
elle a conservé sa langue : les Normands se sont emparés de la Sicile sur les Arabes ;