LE SALON DE 188h.
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s’en est moqué. Au XVIIe siècle, la chose est si commune que Rochefort écrit
clans son Dictionnaire général de la langue française : « Il s’est glissé
un sot abus parmis les bourgeois. Nous en voyons qui ont osé mettre la
particule de devant leur nom appellatif, ce qui est un ridicule et un
fantôme de vanité insupportable. » Quoi qu'il en soit, celui qui fait
peindre son portrait veut avoir sur la toile au moins ’xn aspect de
noblesse. Le paysan et l’artisan ne sont encore que des fc^raments de
production, le nombre latent et la force inconnue. L’art entier de
ce temps est au goût de l’homme de cour. C’est une question de forme
sociale et de classe dirigeante.
Au demeurant, la distribution intérieure des appartements fait
comprendre assez bien ce caractère. Les bâtiments sont tous plus ou
moins imités de l’antique ou de l’italien, conformément aux règles
posées par l’âge précédent. Ce ne sont, au dedans, que pièces immen-
ses, salons et galeries sur deux étages, salles de festin démesurées qui
ne peuvent être peuplées sinon par une véritable foule. A Versailles, par
exemple, si l'on n’est pas cent, on peut se croire seul. Partout des lambris
de marbre, des trophées de bronze doré, des corniches décorées de
bas-reliefs mythologiques, allégoriques ou emblématiques, dorés ou
bronzés, des peintures emphatiques et compassées. Selon le mot de
l’architecte Patte : « On n’est logé que pour représenter ». Il est vrai que
tableaux, statues et lambris, tout vous glace. Une fois, Mme de Main-
tenon se plaint d’avoir froid dans sa vaste chambre à coucher et
demande des paravents. Le roi se récrie : « Point do paravents ! cela
romprait l’appareil symétrique. » Et Mme de Maintenon est condamnée à
geler par respect pour la symétrie. Tel est bien l’effet que nous produit
l’art du temps de Louis XIV, faisant abstraction de tout, hormis du
balancement géométrique des lignes, et sacrifiant l’homme au décor.
IV.
Cent ans s’écoulent ; tout est changé. L’Encyclopédie s’élabore ; la
philosophie propage, dans la classe moyenne, le sentiment égalitaire. Un
parti bourgeois se forme, non pas comme au moyen âge, basé sur l’hon-
neur de la cité et l’orgueil des franchises municipales, mais sur une
vanité philosophique, issue de cette idée juste que le mérite l’emporte
sur la naissance. On n’est plus bourgeois pour être citoyen ; on est bour-
geois pour être bourgeois, c’est-à-dire pour mépriser le peuple et pour
narguer le noble, lequel, souvent, fait l’esprit fort et se nargue lui-même
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s’en est moqué. Au XVIIe siècle, la chose est si commune que Rochefort écrit
clans son Dictionnaire général de la langue française : « Il s’est glissé
un sot abus parmis les bourgeois. Nous en voyons qui ont osé mettre la
particule de devant leur nom appellatif, ce qui est un ridicule et un
fantôme de vanité insupportable. » Quoi qu'il en soit, celui qui fait
peindre son portrait veut avoir sur la toile au moins ’xn aspect de
noblesse. Le paysan et l’artisan ne sont encore que des fc^raments de
production, le nombre latent et la force inconnue. L’art entier de
ce temps est au goût de l’homme de cour. C’est une question de forme
sociale et de classe dirigeante.
Au demeurant, la distribution intérieure des appartements fait
comprendre assez bien ce caractère. Les bâtiments sont tous plus ou
moins imités de l’antique ou de l’italien, conformément aux règles
posées par l’âge précédent. Ce ne sont, au dedans, que pièces immen-
ses, salons et galeries sur deux étages, salles de festin démesurées qui
ne peuvent être peuplées sinon par une véritable foule. A Versailles, par
exemple, si l'on n’est pas cent, on peut se croire seul. Partout des lambris
de marbre, des trophées de bronze doré, des corniches décorées de
bas-reliefs mythologiques, allégoriques ou emblématiques, dorés ou
bronzés, des peintures emphatiques et compassées. Selon le mot de
l’architecte Patte : « On n’est logé que pour représenter ». Il est vrai que
tableaux, statues et lambris, tout vous glace. Une fois, Mme de Main-
tenon se plaint d’avoir froid dans sa vaste chambre à coucher et
demande des paravents. Le roi se récrie : « Point do paravents ! cela
romprait l’appareil symétrique. » Et Mme de Maintenon est condamnée à
geler par respect pour la symétrie. Tel est bien l’effet que nous produit
l’art du temps de Louis XIV, faisant abstraction de tout, hormis du
balancement géométrique des lignes, et sacrifiant l’homme au décor.
IV.
Cent ans s’écoulent ; tout est changé. L’Encyclopédie s’élabore ; la
philosophie propage, dans la classe moyenne, le sentiment égalitaire. Un
parti bourgeois se forme, non pas comme au moyen âge, basé sur l’hon-
neur de la cité et l’orgueil des franchises municipales, mais sur une
vanité philosophique, issue de cette idée juste que le mérite l’emporte
sur la naissance. On n’est plus bourgeois pour être citoyen ; on est bour-
geois pour être bourgeois, c’est-à-dire pour mépriser le peuple et pour
narguer le noble, lequel, souvent, fait l’esprit fort et se nargue lui-même