LE SALON DE 1884.
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V.
Ali siècle où nous sommes, ce n’est plus le bourgeois qui domine,
ou le gentilhomme : c’est le plébéien. Il y a eu, tour à tour, abus de no-
blesse et abus de roture ; il va y avoir abus de démocratie. On ne parle plus
d’homme ni de citoyen, mais d’électeur. La multitude nomme ses repré-
sentants et les cite à sa barre. Elle a repris pour elle le soleil du grand
roi, voulant que tout vienne d’elle et que, sans elle, rien ne soit rien.
Sous son influence, notre littérature s’est retournée, notre peinture s’est
transformée. Depuis le suffrage universel, c’est le peuple qui est le puis-
sant. Aujourd’hui, j’imagine que le prudent La Fontaine conseillerait au
lion de se soumettre, et que Bossuet, du haut de la chaire, rappellerait
à l’humilité les anciens humbles qui vivaient écrasés. Gil-Blas n’est plus
qu’un satisfait et on le méprise ; Figaro cherche des valets et ne voit que
des maîtres au-dessous de lui. Quelques artistes aiment le peuple d’un
amour profond, le regardent vivre et le peignent tel qu’il est, afin qu’il se
connaisse et qu’on le connaisse. D’autres, plus bas d’esprit et moins cou-
rageux, se font ses courtisans et n’aspirent qu’à de faciles succès. Les
derniers suivent le courant à la dérive, académistes déguisés, ne sachant
ni ce qu’ils font ni ce qu’il faut faire. Nous avons traversé, sous le pre-
mier Empire, une crise classique et, sous la Restauration, l’intolérant
romantisme nous a portés à une autre extrémité. La vérité est que, grâce
au mouvement social, 1a. primitive indépendance se trouve aujourd’hui
recouvrée et que nous avons le droit de peindre le misérable non moins
que le riche, et de nous intéreser à l’ouvrier, qui est un homme, et à la
vie de tous les jours, qui est notre matière à observation.
J’ai cru qu’il me serait permis, avant d’entrer dans l’examen parti-
culier des principaux ouvrages envoyés au Salon de 1884, de considérer
d’un peu haut la situation de l’art moderne et de prouver la légitimité de
ses tentatives1. L’École française est, à l’heure qu’il est, en grande voie
F Les idées exprimées par notre collaborateur, M. de Fourcaud, lui appartiennent
en propre. Il se peut que certains de nos lecteurs soient loin de partager son sen-
timent sur l’influence pernicieuse qu’aurait eue en France la Renaissance italienne,
en entravant l’évolution naturelle de notre art national. Nous ferons remarquer une
fois de plus, à ce propos, que nous considérons la Gazelle comme une tribune ouverte
aux opinions les plus diverses, à la défense de doctrines souvent opposées, pourvu
qu’elles soient appuyées par la compétence et le talent de l’avocat. On verra plus loin
un travail de M. Palustre ou des opinions tout autres sont exposées, au sujet de l’art
français 'a la même époque. (n. d. l. r.)
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Ali siècle où nous sommes, ce n’est plus le bourgeois qui domine,
ou le gentilhomme : c’est le plébéien. Il y a eu, tour à tour, abus de no-
blesse et abus de roture ; il va y avoir abus de démocratie. On ne parle plus
d’homme ni de citoyen, mais d’électeur. La multitude nomme ses repré-
sentants et les cite à sa barre. Elle a repris pour elle le soleil du grand
roi, voulant que tout vienne d’elle et que, sans elle, rien ne soit rien.
Sous son influence, notre littérature s’est retournée, notre peinture s’est
transformée. Depuis le suffrage universel, c’est le peuple qui est le puis-
sant. Aujourd’hui, j’imagine que le prudent La Fontaine conseillerait au
lion de se soumettre, et que Bossuet, du haut de la chaire, rappellerait
à l’humilité les anciens humbles qui vivaient écrasés. Gil-Blas n’est plus
qu’un satisfait et on le méprise ; Figaro cherche des valets et ne voit que
des maîtres au-dessous de lui. Quelques artistes aiment le peuple d’un
amour profond, le regardent vivre et le peignent tel qu’il est, afin qu’il se
connaisse et qu’on le connaisse. D’autres, plus bas d’esprit et moins cou-
rageux, se font ses courtisans et n’aspirent qu’à de faciles succès. Les
derniers suivent le courant à la dérive, académistes déguisés, ne sachant
ni ce qu’ils font ni ce qu’il faut faire. Nous avons traversé, sous le pre-
mier Empire, une crise classique et, sous la Restauration, l’intolérant
romantisme nous a portés à une autre extrémité. La vérité est que, grâce
au mouvement social, 1a. primitive indépendance se trouve aujourd’hui
recouvrée et que nous avons le droit de peindre le misérable non moins
que le riche, et de nous intéreser à l’ouvrier, qui est un homme, et à la
vie de tous les jours, qui est notre matière à observation.
J’ai cru qu’il me serait permis, avant d’entrer dans l’examen parti-
culier des principaux ouvrages envoyés au Salon de 1884, de considérer
d’un peu haut la situation de l’art moderne et de prouver la légitimité de
ses tentatives1. L’École française est, à l’heure qu’il est, en grande voie
F Les idées exprimées par notre collaborateur, M. de Fourcaud, lui appartiennent
en propre. Il se peut que certains de nos lecteurs soient loin de partager son sen-
timent sur l’influence pernicieuse qu’aurait eue en France la Renaissance italienne,
en entravant l’évolution naturelle de notre art national. Nous ferons remarquer une
fois de plus, à ce propos, que nous considérons la Gazelle comme une tribune ouverte
aux opinions les plus diverses, à la défense de doctrines souvent opposées, pourvu
qu’elles soient appuyées par la compétence et le talent de l’avocat. On verra plus loin
un travail de M. Palustre ou des opinions tout autres sont exposées, au sujet de l’art
français 'a la même époque. (n. d. l. r.)