Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art (2.Pér. 29.1884)

JOURNAL DU VOYAGE DU CAVALIER BERNIN EN FRANCE. 459

vrai. S’il se repentait, a-t-il dit, aussi bien de ses péchés qu’il se repent de
cela, il serait un grand saint ; il en a pleuré de regret comme un enfant. » —
« C’est une grande faiblesse », lui ai-je dit. — « L’on n’en peut pas voir une
plus grande, a-t-il reparti, et quand on se fâche contre le Pape de quelque
chose, et qu’on la lui veut faire faire l’épée à la gorge, c’est mal le connaître.
L’on la lui fera faire avec deux cerises, comme aux enfants. Enfin, a-t-il dit,
c’est le Roi qui a fait venir le Cavalier; il le dit, quand il vit son dessein de
la première façade du Louvre, et qu’il s’en savait bon gré. »

De l’hôtel de Guise, le Cavalier est venu au Louvre, où il a vu la pre-
mière assise maçonnée. Il a trouvé qu’on ne mettait pas les pierres assez
liées pour avoir des queues entre elles. Il a passé après aux PP. de l’Ora-
toire et s’en est allé de là chez lui.

Le treizième, M. le Cavalier a fait au matin porter son buste au Louvre,
aussitôt après nous y sommes allés. La Reine-Mcre, qui n’est pas en état de
se lever pour l’aller voir, avait bien envie qu’on le portât dans sa chambre
avant qu’il fût posé dans son nouvel appartement, mais les portes se sont
trouvées trop petites pour l’y faire entrer. Ainsi le Cavalier l’a fait mettre
dans l’antichambre du lieu où le Roi donne audience dans ce nouvel appar-
tement, et comme il est exposé an levant, le Cavalier en a trouvé la lumière
bien crue et a été en balance de le faire mettre dans le petit cabinet qui est
derrière; ce qu’il eût fait exécuter, sinon que les gens étaient allés quérir le
petit Christ, qui est l’ouvrage du signor Paul. Cependant le soleil ayant un
peu tourné, la lumière s’est adoucie, et il a mieux aimé le laisser là où il
est, vu qu’il y est avec plus de dignité, et qu’il y a plus de distance pour le
voir. Le petit Christ a été posé à l’opposite, entre deux cabinets, où il est
placé fort avantageusement L M1110 de Beauvais1 2 est venue le voir. Le Cavalier
l’a fort complimentée, et lui a dit que M. le cardinal légat lui avait parlé
d’elle et de sa maison, qu’elle était intelligente. Après, MM. Tubeuf, de Mai-
sons et D’Argouges3 et nombre d’autres officiers de la Reine-Mère sont
venus, puis Mme de Flex4, Mme de Noailles 5 et enfin toute la maison. Le
Cavalier, au sortir de la, est allé aux fondations du Louvre, qu’il a fort
considérées et la position des pierres ; son fils et le seigneur Mathie y
étaient. Après il m’a dit qu’il désirait aller chez Mellan, où nous avons tous
été voir ses tableaux. Il a montré, entre autres, une Madeleine du Titien,

1. Ce petit Christ, si souvent mentionné, et, dont, soit dit en passant, la valeur artistique
est fort médiocre, a été retrouvé au Louvre par M. Louis Courajod, qui en avait découvert
l’auteur avant la publication du Journal de Chantelou. Il est actuellement placé au musée de
sculpture de la Renaissance, dans la salle de la cheminée de Bruges, entre les deux fenêtres.
(Voyez Bulletin de la Société des antiquaires de France, 1876, p. 106-1U7.)

2. Catherine-Henriette Bellier, mariée à Pierre de Beauvais. Elle était première femme
de chambre de la Reine-mère et passait pour avoir été la première maîtresse de Louis XIV.
Son hôtel subsiste encore aujourd’hui et occupe le n° 62 de la rue Saint-Antoine.

3. D’Argouges Tillevot, intendant de la maison et général des finances de la Reine-mère.

4. Marie-Claire de Baufremont, marquise de Sennecey, veuve de J.-B. Gaston de Foix,
comte de Fleix, morte en 1680 à soixante-deux ans. Elle était, en 1665, première dame d’hon-
neur en survivance d’Anne d’Autriche.

5. Louise Boyer, femme d’Anne, comte puis duc de Noailles, dame d’atours d’Anne d’Au-
triche.