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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 2.Pér. 29.1884

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Nr. 6
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Guizot, Guillaume: M. Munkacsy et M. Paul Baudry: expositions diverses à Paris
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https://doi.org/10.11588/diglit.24585#0532

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510

GAZETTE DES BEAUX-ARTS.

Mais il ne suffit pas, pour cela, de choisir des modèles qui soient de
race juive, ni de les revêtir de costumes orientaux; il ne suffit pas de
donner aux divers personnages une vie et une réalité quelconques : il
s’agit de retrouver et de donner à chacun d’eux la vie, la réalité qui a
dû être la sienne, et c’est à quoi M. Mimkacsv ne me semble pas avoir
réussi comme on le voudrait. Autant son Pilate est excellent, autant son
Christ me déconcerte. Voilà bien le magistrat romain tel que son nom
seul l’évoquait en nous, sérieux et ennuyé, sans passion contre l’accusé,
mais non sans quelque dédain, pesant en silence ce qu’il doit à la justice,
ce qu’il doit à l’Empire, ce qu’il doit à ses propres intérêts près de l’em-
pereur. Mais celui qui vient d’être amené devant Pilate, est-ce vraiment
Jésus-Christ? Libre à vous de ne pas faire transparaître à travers ses
traits le Dieu méconnu : il fallait du moins nous montrer un homme dont
la figure pût être transposée sans fausse note à tel ou tel autre moment
de son histoire, au lieu de ce profil de nihiliste déguisé, de qui il est
impossible que les lèvres aient jamais laissé tomber une seule des béati-
tudes du sermon sur la montagne. Do même, quand vous nous repré-
sentez le Calvaire, nous vous dispensons bien volontiers de suspendre
dans les nuages des anges ravis d’extase et de douleur, ou de mêler une
auréole aux épines qui ceignent le front du grand crucifié; mais puisque
vous vous êtes souvenu qu’il y avait, ce jour-là, trois croix sur le Calvaire,
il ne fallait pas oublier que chacune d’elles a son rôle et sa physionomie
à part. L’une est à droite, du côté des brebis, l’autre est à gauche, du
côté des boucs; c’est doctrinal, mais c’est trop obscur. Comment se
peut-il que l’un des deux brigands ne nous dise pas autrement qu’il est
assuré d’être, le soir même, en paradis? pourquoi ne le voyons-nous pas
mourir, priant et remerciant encore du regard? Encore une fois, il n’est
question ici ni de classique, ni de surnaturel, ni de traditions d’école, ni
d’orthodoxie d’Église, mais seulement de ceci : le bon larron fait partie
du sujet, et tout de suite, sans doute possible, par les figures mêmes, nous
avons besoin de distinguer lequel des deux est le bon. Avec la rare habi-
leté de pinceau que M. Munkacsy possède, lui en aurait-il donc beaucoup
coûté de marquer nettement ses personnages du caractère qui appartient
à chacun d’eux? Tous ceux qui se rappellent, comme je le fais, son tableau
du condamné à mort exposé avant le supplice, savent bien qu’il était
homme à mettre, dans un drame poignant, autant d’unité que de mouve-
ment, autant d’expression que de couleur. Aujourd’hui, j’ai peur qu’il
n’ait trop compté sur le pittoresque du spectacle et le prestige de la mise
en scène, pour nous donner l’illusion d’avoir assisté à la crise du drame
évangélique et à son dénouement.
 
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