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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
tien, le désespoir d’Orphée, la déchéance de l’Enfant prodigue, n’en
regardent pas moins autour d’eux en hommes « pour qui le monde
visible existe », et ils donnent, de parents, d’amis, des images d’une
touchante intimité. Enfin, et ici la réfutation devient péremptoire, par
des portraits, rien que par des portraits, MM. Mouthon, Evenepoël,
Sabatté, Morisset, Baignères se sont imposés à notre souvenir. La
preuve ainsi faite, les artistes précités s’étant tous inspirés du spec-
tacle, animé de leurs yeux, le préjugé ne sera-t-il pas aboli, qui
confine les élèves de M. Gustave Moreau dans le culte exclusif des
rétrospectivités mortes? J’entends que leurs portraits visent plu-
tôt à la mise en évidence du caractère, à l’exaltation de la vie intel-
lectuelle qu’au mot à mot de la ressemblance et aux calligraphies de
l’écriture; c’est par où ils trouvent à nous séduire. Tout portrai-
tiste s’érige en confesseur d’humanité ; sous peine d’échouer dans
sa tâche, il lui faut être quelque peu devin ; ce qu’on réclame
de lui, c’est, outre la figuration de ce corps misérable promis à la
poussière, la trace de l’esprit qui veille et demeure. Nous avons
vu les portraits qui se recommandent par l’effort ou le nom : les
exactes études physionomiques de M. Aimé Morot, dont le grand
savoir n’est ni tendu, ni pédant ; la poétique effigie que M. Jules
Breton a frappée de lui-même ; puis, de M. Détaillé, le tableau d’appa-
rat et d’inexorable minutie, où le prince de Galles et le duc de
Connaught ont été représentés à cheval, suivis de leur état-major,
durant qu’évoluent par la plaine les régiments de highlanders; nous
avons vu M. Doucet saisir, non sans subtilité, l’indolence alanguie,
le mondain nonchaloir, et M. Bonnat, portraitiste ordinaire des pré-
sidents et souverains, adoucir sa rude et sculpturale manière, trouver
une grâce d’attitude, des tendresses de tons insoupçonnées pour pein-
dre la Comtesse L. M. Le goût de MM. Jeanniot, Agache, Lerolle,
Blanche, Sallès, Baschet, Mary, Margueré s’est affirmé et le
décompte des imitateurs a établi le crédit dont jouit dans les deux
mondes la manière héroïque de M. James Mac Neill Whistler; mais,
entre tant d’images d’indifférents, d’inconnus à la contemplation
desquels les Salons convient, celles-là seules sont assurées de sur-
vivre qu’on peut interroger sans trêve ; et jamais l’espoir d’une confi-
dence nouvelle ne nous ramena en vain devant les portraits de
M. Léandre, de M. Jean Veber, où l’énigme d’un tempérament se
dévoile, devant celui intensivement expressif de Mme F.-D... par
M. J.-J. Henner, devant ceux surtout de M. Paul Dubois, qui lais-
sent apparaître à la longue, sous leur tenue sévère et leur forte
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
tien, le désespoir d’Orphée, la déchéance de l’Enfant prodigue, n’en
regardent pas moins autour d’eux en hommes « pour qui le monde
visible existe », et ils donnent, de parents, d’amis, des images d’une
touchante intimité. Enfin, et ici la réfutation devient péremptoire, par
des portraits, rien que par des portraits, MM. Mouthon, Evenepoël,
Sabatté, Morisset, Baignères se sont imposés à notre souvenir. La
preuve ainsi faite, les artistes précités s’étant tous inspirés du spec-
tacle, animé de leurs yeux, le préjugé ne sera-t-il pas aboli, qui
confine les élèves de M. Gustave Moreau dans le culte exclusif des
rétrospectivités mortes? J’entends que leurs portraits visent plu-
tôt à la mise en évidence du caractère, à l’exaltation de la vie intel-
lectuelle qu’au mot à mot de la ressemblance et aux calligraphies de
l’écriture; c’est par où ils trouvent à nous séduire. Tout portrai-
tiste s’érige en confesseur d’humanité ; sous peine d’échouer dans
sa tâche, il lui faut être quelque peu devin ; ce qu’on réclame
de lui, c’est, outre la figuration de ce corps misérable promis à la
poussière, la trace de l’esprit qui veille et demeure. Nous avons
vu les portraits qui se recommandent par l’effort ou le nom : les
exactes études physionomiques de M. Aimé Morot, dont le grand
savoir n’est ni tendu, ni pédant ; la poétique effigie que M. Jules
Breton a frappée de lui-même ; puis, de M. Détaillé, le tableau d’appa-
rat et d’inexorable minutie, où le prince de Galles et le duc de
Connaught ont été représentés à cheval, suivis de leur état-major,
durant qu’évoluent par la plaine les régiments de highlanders; nous
avons vu M. Doucet saisir, non sans subtilité, l’indolence alanguie,
le mondain nonchaloir, et M. Bonnat, portraitiste ordinaire des pré-
sidents et souverains, adoucir sa rude et sculpturale manière, trouver
une grâce d’attitude, des tendresses de tons insoupçonnées pour pein-
dre la Comtesse L. M. Le goût de MM. Jeanniot, Agache, Lerolle,
Blanche, Sallès, Baschet, Mary, Margueré s’est affirmé et le
décompte des imitateurs a établi le crédit dont jouit dans les deux
mondes la manière héroïque de M. James Mac Neill Whistler; mais,
entre tant d’images d’indifférents, d’inconnus à la contemplation
desquels les Salons convient, celles-là seules sont assurées de sur-
vivre qu’on peut interroger sans trêve ; et jamais l’espoir d’une confi-
dence nouvelle ne nous ramena en vain devant les portraits de
M. Léandre, de M. Jean Veber, où l’énigme d’un tempérament se
dévoile, devant celui intensivement expressif de Mme F.-D... par
M. J.-J. Henner, devant ceux surtout de M. Paul Dubois, qui lais-
sent apparaître à la longue, sous leur tenue sévère et leur forte